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20/12/2020

Le Dieu Saturne

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(Mes photos- Apollon et les illuminations de Noël, Nice

Fin d’année 2020. Il reste encore dix jours et cette année, qui fut terrible pour ceux qui la traversons aujourd'hui, va se terminer, tout en prolongeant sa trace, car le virus méchant n’a pas faibli. Bien au contraire, il mute (ce qui est normal, expliquent les spécialistes) et il semble presque hors de contrôle : l’Europe se confine de nouveau, les Etats-Unis enregistrent une hausse de cas spectaculaire. Le monde s’efforce de placer son espoir dans les différents vaccins qui sont prêts mais qui sont loin de faire l’unanimité, même parmi les scientifiques. Il faudra pourtant garder confiance en la vie, cette force qui dépasse l’action humaine tout en n’existant que grâce à celle-ci, du moins en partie.

Le 20 décembre, dans le calendrier des traditions roumaines, c’est le jour de l’Ignat, le jour où l’on tue le cochon, en prévision des fêtes d’hiver qui s’achèvent le 7 janvier, à la Saint Jean Baptiste selon le calendrier orthodoxe. Ainsi, cette tradition païenne est associée à une fête chrétienne. Le rituel de la mise à mort du cochon trouve ses origines dans les traditions de l’antiquité romaine, les Saturnales, qui célèbrent le Dieu Saturne, une semaine avant le solstice d’hiver. D'ailleurs, le mot Ignat vient du latin ignus, feu, car ce jour-là  était l’une des plus importantes fêtes solaires. Saturne était le dieu romain du Temps et de l’agriculture, un dieu paisible qui présidait aux semailles, à la germination et aux récoltes. Le porc représentait cette divinité dont la mort et la renaissance marquaient le moment de passage entre l’année qui s’en va et celle qui vient, et les conditions spécifiques de ce rituel se sont transmises au fil des siècles. Elles ont fait l’objet d’études d’anthropologie et d’ethnologie. Par exemple, ce récent article mis en ligne en juillet 2019 et intitulé Cosmogonie et agonie, le dilemme du cochon roumain. L’origine de l’article est une Thèse où l’auteur, anthropologue à l’Université catholique de Louvain, analyse les transformations de l’identité paysanne roumaine à l’heure européenne, à partir des nombreuses traces matérielles et symboliques de la présence et de la prégnance de l’élevage porcin au village roumain. Car le cochon peut être considéré comme un emblème de l’identité nationale roumaine. En 1962, il disposait déjà d’un timbre à son effigie. Or, nous rappelle l’auteur, le timbre postal, en tant que support de la mémoire nationale ayant pour double fonction la remémoration et la commémoration, à la fois miroir et vitrine, reflète les fondements idéologiques de l’Etat émetteur. Le cochon n’est donc pas anodin en Roumanie, il est une métonymie de l’espace national roumain. Cette bête singulière occupe une place majeure dans les assiettes et l’identité paysanne, mais aussi dans l’économie domestique roumaine. De Noël à Pâques, le cochon est la pièce maîtresse des repas. Comme il occupe une place centrale, le cochon est l’objet d’une grande attention de la part du petit paysan, il fait partie de la famille, il porte un nom, un hommage lui est rendu lors de sa mise à mort. Cependant, cette place lui est aujourd'hui disputée, signe d’un dilemme vécu par les éleveurs et leurs animaux, une quadruple pression: l’implantation de géants de l’agro-industrie porcine, le mode de domestication, l’imposition des normes sanitaires et de bien-être animal édictées à Bruxelles et qui altèrent aux yeux des petits éleveurs roumains la saveur de la chair porcine, les discours des défenseurs des droits animaux qui dénoncent la barbarie des paysans dits insensibles à la souffrance des animaux abattus de façon « inhumaine ». Enfin, notons que l’annexe B1 de la Directive européenne 93/119/CEE sur la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort fixe les règles minimales ; cependant, un usage rusé de cette réglementation transforme la tuée du porc en rituel orthodoxe. Il en résulte que la nature profondément signifiante du cochon pour le "gospodar" [le petit paysan éleveur] est passée sous silence.

Cette année, le 20/21 décembre correspond également à un événement rarissime, lié à Saturne. Les deux plus grosses planètes du système solaire, Jupiter et Saturne seront si proches comme si elles ne faisaient qu’un seul astre. On appelle ce rapprochement la grande conjonction, les deux planètes ne seront séparées que par 6 minutes d’arc, c’est-à-dire que Jupiter gravitera à près de 900 millions de km du Soleil et Saturne à 1,6 milliards de km. En fait, ce phénomène longtemps interprété comme un signe annonciateur de grands bouleversements par les astrologues du Moyen Age, se produit tous les vingt ans, mais il n’est pas toujours observable en raison de sa trop grande proximité avec le Soleil. Dans la précédente conjonction, le 28 mai 2000, Jupiter et Saturne étaient éloignées de 68,9 minutes d’arc. Le 16 juillet 1623, à l’époque de Galilée, les deux géantes n’étaient éloignées que de 5 minutes d’arc. Il faut remonter quatre siècles en arrière, le 4 mars 1226, pour retrouver une telle configuration, visible à l’œil nu. Donc, cette année, à peine quelques jours avant le 25 décembre, nous aurons une Etoile de Noël, phénomène qui fait écho à la célèbre Etoile de Bethléem (mentionnée dans l'Evangile de Matthieu) et que plusieurs astronomes, dont Kepler au XVIIe, avaient mentionné comme résultant d’un alignement de Jupiter et Saturne en l’an 7 avant le début de l’ère chrétienne. Bien sûr, l’Etoile de Bethléem pourrait être le résultat d’une autre conjonction de planètes, d’une comète, d’une explosion d’étoile…(nous explique l'article Etoile de Noël:le rapprochement entre Jupiter et Saturne à ne pas manquer le 21 décembre dans Sciences et Avenir).

En tout cas, ce qui est sûr, c’est que le prochain rapprochement entre Jupiter et Saturne n’aura pas lieu avant 2080. C’est peut-être ma petite-fille Rowen Valentina qui le verra, je le lui souhaite.

Joyeux Noël ! Bonne fin d’année à tous !

22/07/2020

Ce pactole européen qui va partir en fumée

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(Mes photos- Nice, Juillet 2020)

Personne ne mettrait en doute les bonnes intentions du président Iohannis qui déclare, au lendemain du sommet historique de Bruxelles (le plus long depuis celui de Nice, en 2000, consacré à l’élargissement à l’Est), que les presque 80 milliards d’Euros obtenus pour son pays seront destinés aux travaux d’infrastructure, de modernisation de systèmes publics, à la construction d’hôpitaux et d’écoles. Cet argent servira le plan de relance économique post-pandémie. « C’est un jour important pour la Roumanie, un jour important pour le projet européen, et nous allons avancer, cet argent devra être utilisé à la reconstruction de la Roumanie. »

C’est ce qu’il convient de dire, et c’est une simple déclaration officielle. Parce que voilà, le pays est le résultat de trente années de pillage, de corruption et d’incompétence institutionnalisée, d'émigration. Avec un Etat de droit qui n’en est pas un, avec un maillage clientéliste au niveau de toutes les structures administratives, avec l’argent public siphonné par les réseaux mafieux et les intérêts des partis politiques, il est tout simplement illogique de croire qu'un renversement de situation serait possible. Une situation solidement ancrée. L’eurodéputé Dacian Ciolos, ancien commissaire européen, président du groupe Renew Europe au Parlement européen, voit une chance historique dans ces fonds: « Nous avons besoin pour la Roumanie d’une vision claire de la direction dans laquelle nous souhaitons l'engager. Il faudra une réforme de l’Etat, de l’administration, pour être sûrs que l’argent public sera correctement utilisé dans des investissements publics ».

Autrement dit, nous avons besoin d’une stratégie, ce que la Roumanie n’a jamais eu, enfin, à part l’édification du communisme… Il est vrai que l’UE traverse la plus grande crise depuis sa création, et que l’accord trouvé après d’âpres négociations est unique car, pour la première fois dans son histoire, l’UE s’endette collectivement : une enveloppe globale de 750 milliards d’euros, dont 390 non-remboursables et 360 de prêts. Mais souvenons-nous que la Roumanie se distingue entre tous par la plus faible capacité d’absorption des fonds européens. Elle n’avance pas de projets pour accéder aux fonds, son système mafieux spécifique fait que les responsables politiques, administratifs, etc., ont leurs propres business et des contrats avec l’Etat. Alors, faire de grands projets d’investissements publics, d’infrastructure, n’intéresse personne. Tout se concentre autour du jeu politique qui doit profiter au maximum au système mafieux complexe. Celui-ci ne pourra être démantelé, c’est impossible. Il peut exister, par-ci par-là, dans tel ou tel ministère, de rares personnes honnêtes ayant un cursus international, mais en vérité, elles sont impuissantes, et finalement elles seront remplacées ou elles jetteront l’éponge. Le manque de compétences est un aspect presque tabou en Roumanie, normalement on devrait en avoir honte, si l’on est lucide. Et quand on est compétent, on est broyé par le système qui est le plus fort, cela va de soi. Le plus triste, c’est la fraude intellectuelle qui prospère justement parce que les compétences réelles sont absentes. Bien entendu, la Roumanie va se débrouiller pour monter certains projets et accéder à une partie des fonds disponibles dès l’automne (pour le plan de relance post-pandémie). 

En principe, cela devra se passer d’après un schéma bien connu, comme je l’écrivais dans une note en 2008 (le fait que l’on se trouve, douze ans après, dans un plus grand désastre, ne changera pas le mécanisme, peut-être que les 5% de commission deviendront 10%)

"La Mafia des fonds européens vole l'argent des agriculteurs" (FLAGRANT - Mafia fondurilor europene fură banii ţăranilor)

 "La Roumanie est le seul pays qui, pendant la première année suivant son entrée dans l'UE (2007), n'a toujours pas eu accès à un seul euro des fonds européens. En revanche, elle a versé au budget de l'Union sa côte de 1,1 milliards euros. La réalité, c'est que l'accès aux fonds européens est filtré par une Mafia composée justement de fonctionnaires habilités à aider les investisseurs dans le montage des projets et dans l'obtention des subventions. Ces mafieux exigent un pourcentage de 5% des fonds débloqués. Ils proposent "du conseil" dans la rédaction et la validation du dossier. Voici plus loin le cas d'un haut fonctionnaire de l'Agence des Paiements et des Interventions pour les Agriculteurs (APIA), institution qui joue un rôle déterminant dans l'approche des fonds européens. (...) APIA est une institution mammouth qui comprend une armée de fonctionnaires grassement payés (des salaires en milliers d'euros) et qui n'ont toujours pas réussi à faire les démarches nécessaires pour recevoir les fonds UE (...)."   

 Le problème, c'est si/comment l’UE entend y réagir, elle-même étant composée de fonctionnaires fort bien payés, habitués à la lenteur des procédures.. Après, il y a les divers lobbies, les networks qui se tissent entre fonctionnaires, diplomates, représentants, etc., à un niveau autre que celui du petit investisseur ou entrepreneur qui lui, souhaiterait faire quelque chose de concret, avec des euros concrets..

 

Dans les Archives, on pourra trouver plusieurs articles consacrés au sujet inépuisable des fonds européens en tapant un mot-clé dans la case Rechercher, par exemple "fonds UE". En voici un, toujours de 2008 (Les Fonds II/INTERREG). Dans les premières années qui ont suivi son adhésion, la Roumanie a produit une mafia des fonds européens, et des sommes colossales ont été détournées. Avec le temps, l’UE a mis en place des mécanismes de vérification qui ont fait diminuer l’intérêt pour les programmes européens financés, étant donné qu'on ne pouvait plus frauder aussi facilement. Alors, on s’est tourné vers la combine des partenariats bilatéraux, tout le monde y étant gagnant, moins le pays dans l'ensemble, qui a continué à s’enfoncer, moins les citoyens ordinaires qui, eux, ont trouvé la solution de l’émigration.    

26/06/2020

Un quart de siècle

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(Mes photos - Premier voyage après le déconfinement à Villefranche-sur-mer)

Le 27 juin, c’est le jour anniversaire de ma belle Thèse, La Rhétorique de la Passion dans le roman médiéval, qui a été beaucoup plus qu'une Thèse. Elle a joué un rôle de rempart pour moi en France, me permettant de résister et de garder intactes l'estime de soi, la force, la persévérance. Je le marque chaque année, à ma manière, en publiant quelque chose sur mes espaces (blogs, page Facebook), et aussi en faisant le geste rituel qui consiste à descendre l'exemplaire de son étagère et à l'ouvrir au hasard. A la fin, je m’arrête sur l'énigmatique page 283 (énigmatique dans le sens de prophétique), où j'aborde le sujet du choix, de la volonté et du processus de délibération, et à chaque fois, c'est un nouveau départ pour la réflexion. Bien sûr, par amour de la sémantique, je m’offre toujours une glace au fruit de la passion.

Une amie de longue date me suggère de relire la Thèse, puisque c'est un anniversaire plus spécial (elle l'a relue plusieurs fois, elle possède un exemplaire), mais je lui réponds qu'aujourd'hui cela m’est impossible. Ce n'est pas à cause de ma propre évolution, mais parce que c’est paradoxalement douloureux. Ma Thèse de 450 pages (je l'avais tapée toute seule) se trouvait à la croisée des chemins de plusieurs disciplines: la littérature médiévale en langue vulgaire (le roman, principalement), la philosophie et la spiritualité, lues à la lumière des développements récents des sciences modernes (linguistique, sémiotique, psychanalyse). Le jury a apprécié mon point de vue comme étant "peu habituel et enrichissant pour examiner la littérature et la pensée des XIIe et XIIIe siècles", et m'a accordé la mention Très honorable à la majorité. Pour la soutenance (à la Faculté des lettres, salle 133, de 14h30 à 18h30), j'avais mis une blouse roumaine blanche, brodée au fil de soie blanc, et une jupe noire légère à pois. La blouse, c'est mon père qui me l'avait offerte et me l'avait envoyée de Roumanie pour cet événement, il était très ému et très fier de moi.. J'obtenais donc mon Diplôme de Docteur de l'Université de Nice au bout de seulement trois ans, ce qui s'expliquait facilement par le fait que je n'avais plus 25 ans, et que j'avais déjà l'expérience de la recherche dans mes travaux antérieurs. Je disais, amusée, que j'étais Docteur en Amour, au sens le plus large. Et c'est justement l'Amour, au sens le plus large (sur lequel je m'étais penchée avec mon sérieux et ma réflexion), qui allait me protéger, m'inspirer, me guider, me soutenir. 

Pour cet anniversaire, le hasard a ouvert ma Thèse à la page 233:

"L'amour (l'agapè) est donné à l'homme gratuitement (Dieu est amour), c'est une faculté de l'homme (affectus), mais qui se manifeste différemment parce que les hommes ne la possèdent pas (ils l'ont sans la posséder). Or, posséder c'est prendre conscience de ce que l'on veut posséder (nous rappelons que l'identité entre connaissance et amour, l'un étant la condition de l'autre, est une idée très chère au Moyen Age)."

J'ai sélectionné deux liens dans les Archives (ils envoient aussi à d'autres liens), et une photo, que j'ai prise récemment : 20 ans ; 23 ans...

Photo -Représentation du Saint Suaire, Chapelle de la Très-Sainte Trinité et du Saint Suaire, Confrérie des pénitents rouges, dans le Vieux-Nice.

Par une chaude après-midi de mai 2005, je me trouvais dans cette église pour assister à une conférence sur le Saint Suaire. J'avais déjà vu le linceul de près à Turin, où j'étais allée avec mon fils en 2000 pour l'exposition publique (l'ostension), parce que j'avais à l'époque un emploi auprès de l'Evêché de Nice. Au moment même où se déroulait la conférence dans la petite chapelle du Vieux-Nice, Claudiu était en train de survoler l'Atlantique pour retourner définitivement aux Etats-Unis. 

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26/05/2020

Anniversaire (30)

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(Photo-Un coquelicot qui persévère dans son être)

 

Sur cette photo, j’avais 37 ans, quelques mois après la chute du Mur. Je l’avais faite pour la joindre à mes dossiers adressés à diverses ambassades (y compris l’Afrique du Sud, je me souviens parfaitement…), afin de quitter le pays. Finalement, les choses se sont agencées autrement, mais trente ans, c’est beaucoup dans une vie personnelle, et aussi dans la vie d’un pays.

En ce qui me concerne, j’ai eu suffisamment de courage pour traverser le feu (tout en ignorant, bien sûr, de quoi allait être faite la prochaine étape), et à présent, une bonne intuition m’a fait cesser l’activité libérale avant la pandémie, en décembre dernier, prendre ma retraite à taux plein et éviter ainsi de payer le montant aberrant de la cotisation demandée par la CIPAV pour 2020. Je gère donc sagement mes deux pensions roumaine et française, et pour la première fois, depuis trente ans, je ressens une forme de paix. Je vis à Nice, avec un titre de séjour permanent, et pour ce qui est des projets pour les années à venir, j’avoue que mon imagination s’arrête. Il est hors de question pour moi de retourner en Roumanie (même pas morte!), et les Etats-Unis, où vit mon fils avec sa petite famille, m’angoissent autrement, je n’y résiste que pendant quelques semaines de vacances.

En ce qui concerne la Roumanie, chaque année et chaque jour m’ont confirmé, trente années durant, que j’avais pris la bonne décision de la quitter, ce qui aujourd'hui m’apparaît encore plus clair, car j’ai le recul nécessaire. Néanmoins, pendant trente ans, un sentiment trompeur m’a accompagnée : l’espoir. Il n’y a pas de plus grand piège que l’espoir, il faut toujours privilégier le principe de réalité et la raison (la Raison selon Spinoza).

La Roumanie fait partie de ces pays qui sont destinés à stagner, en tant que société, en dépit des contextes ou des changements historiques. Même si, au fil de ces trente dernières années, je m’étais posé des questions, en essayant de comprendre la vraie nature de mon pays, les vraies causes de son état, j’ai tâtonné avant la lecture d’un court essai, sur lequel je suis tombée le 18 mai dernier. Je lui consacre la prochaine note de CEFRO planifiée pour le 1er juin (on pourra donc lire sur cefro.pro une présentation avec, en document joint, des extraits et deux schémas que j’ai reproduits à l'aide de Paint).

Le petit livre en question, c’est Les lois fondamentales de la stupidité humaine, de Carlo. M. Cipolla, paru en 1976 en anglais, traduit en italien en 1988, et paru en français aux Presses Universitaires de France en 2012. Je ne vais pas en dire trop ici, mais juste deux-trois conclusions après cette lecture.

L’auteur, historien de l’économie, professeur à l'Université de Berkeley et à l'Ecole normale supérieure de Pise, fait une analyse de la stupidité qui se manifeste tant au niveau de l’individu que de la société, et la résume en cinq lois fondamentales. L’humanité se divise en quatre grandes catégories : les crétins, les gens intelligents, les bandits et les être stupides. On trouve le même pourcentage d’individus stupides dans les groupes humains les plus nombreux comme dans les plus restreints, ce qui est une preuve de la puissance de la Nature (l’auteur s’oppose à l’idée reçue de l’égalitarisme en vogue dans la culture occidentale, sa conviction est que les hommes ne sont pas égaux, que les uns sont stupides et les autres non, et que la différence dépend de la Nature et non de facteurs culturels).

a) Si Pierre accomplit une action et subit une perte, tout en entraînant un gain pour Jean, Pierre a agi comme un crétin. b) Si Pierre accomplit une action qui lui apporte un gain tout en apportant un aussi à Jean, Pierre a agi de façon intelligente. c) Si Pierre accomplit une action qui lui permet un gain tout en causant une perte pour Jean, il a agi en bandit. d) Si Pierre accomplit une action qui entraîne une perte pour un autre ou pour un groupe d’individus, tout en n’en tirant lui-même aucun bénéfice et en s’infligeant éventuellement des pertes, il est stupide. L’auteur explique comment le pouvoir social, politique et institutionnel renforce le potentiel dévastateur d’un individu stupide, d’où la formidable puissance de la stupidité. Le résultat de l’action d’un parfait bandit (il existe des bandits à tendance intelligente, et des bandits à tendance stupide) est purement et simplement un transfert de fortune et/ou de bien-être. Après l’action d’un parfait bandit, celui-ci dispose sur son compte d’un plus qui équivaut au moins causé à autrui. La société dans son ensemble ne s’en porte ni mieux ni plus mal. Si tous les membres d’une société étaient de parfaits bandits, la société stagnerait mais on n’y constaterait aucun désastre majeur. Quand les gens stupides sont à l’œuvre, c’est une autre histoire. Les gens stupides causent des pertes aux autres, sans gain personnel en contrepartie. La société dans son ensemble en est donc appauvrie.

Dans toute l’histoire de l’humanité, depuis l’Antiquité aux temps modernes ou à l’époque contemporaine, on est frappé de constater que tout pays sur la pente ascendante a son inévitable fraction O d’individus stupides. Mais les pays en plein essor comptent aussi un très fort pourcentage de gens intelligents qui réussissent à tenir en respect la fraction O et en même temps à garantir le progrès en produisant assez de gains pour eux-mêmes et pour les autres membres de la communauté. Dans un pays sur la pente descendante, la fraction d’êtres stupides reste égale à O ; cependant, dans le reste de la population, on remarque parmi ceux qui détiennent le pouvoir une prolifération inquiétante de bandits à tendance stupide (…) et, parmi ceux qui ne sont pas au pouvoir, une augmentation tout aussi inquiétante du nombre de crétins. Ce changement dans la composition de la population non stupide renforce inévitablement la puissance destructrice de la fraction O, et le déclin devient inéluctable. Et c’est le chienlit.

En conclusion, si j’applique cette grille de lecture à la Roumanie, dont je connais l’histoire, quand même, il me semble que pendant ces derniers trente ans, c’est le pourcentage d’êtres stupides et de bandits qui est supérieur à celui de gens intelligents ou à celui de crétins. Les actions des êtres stupides sont imprévisibles, erratiques, elles causent des pertes aux autres gratuitement, mais les stupides peuvent en souffrir eux aussi. Quant aux bandits, je crois que le pays enregistre un pourcentage accablant (les bandits à tendance intelligente accomplissent des actions qui leur apportent un profit supérieur aux pertes causées à autrui ; les bandits à tendance stupide accomplissent des actions qui leur procurent des gains inférieurs aux pertes causées à autrui : par exemple, on vous tue pour vous dérober une montre). Mais comme c’est la Nature qui règle cela, et non la culture, il faut en déduire qu’il existe un gène qui se transmet.

P-S. Il est évident que le seul gain historique pour la Roumanie a été l’intégration des structures euro-atlantiques, heureusement. Je le pense maintenant, comme je le pensais en 2005, après  Maastricht, où la France a voté Non. Mais je vis en France, où le discours souverainiste a un certain poids, à l’extrême droite comme à l’extrême gauche. J’ai vu l’autre jour l’interview d’un philosophe très populaire (je le préfère plutôt quand il parle philosophie ou littérature) rappelant qu’il est souverainiste, etc. Et comme il expliquait qu’il avait voté Non au Traité de Maastricht, je suis allée chercher dans les Archives de ce blog une note de 2005. En général, j’évite les Archives pour la simple raison que ce blog est un témoignage qui a sur moi un certain impact émotionnel, comme dit la formule consacrée. Mais, parfois, il m'aide à me rendre compte de mon évolution. Par exemple, dans cette note (Le NON-emballage), je me trouve assez enthousiaste, et surtout patiente et polie pour répondre à un long commentaire dont l’auteur semble avoir confondu mon modeste blog avec une tribune idéologique… Eh bien, maintenant, je ne pourrais plus le faire, au mieux, je dirais un simple merci et je ne répondrais pas. Toute mon activité de conseil en gestion émotionnelle me sert finalement.