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06/02/2024

La guerre froide, comme si vous y étiez

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(Photo- Février 2024, selfie dans la vitre d'une bijouterie, Rue de la Liberté, Nice

 

 

"La lutte contre la 'désinformation' est donc aujourd'hui essentielle pour la survie même des démocraties." 

L’année 2024 marque le vingtième anniversaire de trois événements importants pour moi: le lancement de ce blog consacré à un projet professionnel lié à l’élargissement européen (un projet qui n’a pas pris la forme souhaitée initialement, faute d’un soutien institutionnel indispensable, mais une forme plus individuelle, et peut-être plus méritoire, ma microentreprise CEFRO), le diplôme de mon fils en Business Administration au College of Charleston, en Caroline du Sud, l’entrée de la Roumanie dans l’OTAN. Ce sont des événements traversés par le même fil invisible. Alors, j’aimerais parler d’un livre publié en 1986 (j’étais professeur en Roumanie), et dont l’auteur, Thierry Wolton, est un journaliste français de ma génération. Je ne connaissais pas le journaliste, mais depuis la guerre en Ukraine j’ai eu l’occasion de l’écouter sur des plateaux de télévision en France et aussi en Roumanie, où il est invité et où ses livres sont traduits. D'ailleurs, celui que je viens de lire a été traduit en roumain en 1992 et publié aux Editions Humanitas, la même maison d’édition qui invite l’auteur régulièrement, car il s’agit d’un spécialiste de l’histoire du communisme. Je crois que c’est surtout une phrase entendue récemment (La Roumanie est le seul des pays de l’Est où le KGB a vraiment réussi) qui m’a poussée à lire son livre Le KGB en France. En Roumanie, je ne connaissais que la France des lettres, c’était ma formation et ma profession, et le communisme semblait éternel. Après ’90, quand je suis arrivée en France, il m’a fallu comprendre la réalité française, avec sa vie politique, sa société, décoder et reconnaître les passerelles, car, paradoxalement, il y en avait. J’ai eu une ligne de conduite, un réflexe normal, après tout: éviter les compatriotes roumains, ce que j’ai conseillé à mon fils. Ce n’est pas de la paranoïa, loin de là. Je m’en suis tenue à mes droits en rapport avec des administrations et des institutions, rien de plus. La lecture de ce livre m’a confirmé que j’avais raison. De quoi parle donc ce livre ?  

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17/08/2023

La littérature, un témoin qui ne meurt jamais

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(Photo -Ma fenêtre à Nice)

De nouveau, ces propos que j'ai déjà eu l'occasion de citer dans des notes antérieures, mais qui me parlent beaucoup, c'est un concentré:

"Si je n'étais pas partie, il m'aurait été impossible de résister ici! Rien qu'en pensant au contact quotidien avec la réalité roumaine, je me rends compte que je deviendrais folle une seconde fois si je devais vivre dans la Roumanie d'aujourd'hui. Il y a tant d'indifférence dans ce pays, et l'indifférence de la population explique aussi tout ce qui se passe (…) La Roumanie post-communiste n'a pas enlevé tous les masques de l'horreur communiste, dont le plus perfide reste celui de la délation, et le plus terrible, celui de l'annihilation de l'intimité (...). Les Services secrets de Ceausescu n'ont pas été dissous, mais renommés SRI. Un ex-collaborateur de la Securitate peut occuper n'importe quelle fonction aujourd'hui en Roumanie ", écrivait Herta Müller dans Die Zeit (cité dans RL), en 2009.

 Le site DW publie aujourd'hui un article à l’occasion de l’anniversaire de Herta Müller, prix Nobel de littérature 2009: « Herta Müller a écrit pour les Roumains les livres qui leur manquaient », dont je résume quelques idées. Harcelée par la Securitate parce qu’elle écrivait ce qu’il ne fallait pas, elle avait été obligée de quitter la Roumanie. Elle écrit en allemand, ce qui fait d’elle un écrivain allemand. Néanmoins, sans la vie vécue en Roumanie, avec les traumatismes subis, les trahisons des amis qui l’ont dénoncée à la Securitate, les sacrifices assumés, les mensonges entendus, la peur du système qui lui a donné en même temps le courage de s’y opposer, la force de ses écrits (autobiographiques pour la plupart) n’aurait pas été aussi pénétrante. Elle a écrit sur la dictature, mais aussi sur la manière dont la majorité de la population et les institutions avaient participé au maintien du régime. Elle a su ne pas abandonner ses principes et défendre ses opinions au risque d’une sincérité qui embarrasse. Elle a refusé d’oublier, de passer l’éponge sur les humiliations et les abus vécus pendant la dictature, elle a nommé les choses, en ne permettant pas aux lecteurs d’oublier l’absurde de ce monde-là. C’est pourquoi elle a dérangé et dérange toujours l’espace public roumain. Un écrivain qui continue de rappeler que la Police politique n’est pas morte, mais qu’elle a proliféré, en créant un capitalisme de clan et de clientélisme joyeux et insouciant, cet écrivain ne pourrait être commode pour une société qui préfère fermer les yeux et se laisser diriger par les successeurs des anciens abuseurs, justement parce qu'il rappelle ce que la majorité intellectuelle souhaite oublier ou plutôt camoufler. Sa traductrice en roumain, Corina Bernic, observe que ce qui en Roumanie a été considéré comme une atteinte au sentiment national de la part de Herta Müller, est en vérité, au contraire, une preuve d’amour et de regret, car vous ne critiquez que ce qui vous intéresse, ce que vous pensez être réparable. Autrement, vous restez indifférent et vous ne vous retournez plus sur le passé. Herta Müller n’a jamais cessé d’interroger le passé.

J’ai lu l’article de DW sur Facebook et j’ai laissé un commentaire, en citant les mots de Herta Müller en 2009, et qui figuraient dans une note sur ce blog. Un bon Roumain m’a injuriée, moi, "avec la Juive Herta". Je l’ai bloqué, la moindre des choses. Mais c’est un détail révélateur. Derrière l’écran, on peut plus facilement déverser sa haine. Et il y a de la haine, beaucoup de haine, si vous touchez le point névralgique de la complicité.

A propos de la haine de la Police politique de la dictature, viscérale car liée au sentiment national et à l’idéologie, je viens de lire un roman de l’auteur danois Michael Katz Krefeld (« Savnet », 2014/ « Disparu », Actes Sud, 2020) qui retrace les derniers jours de la Stasi, avant la chute du Mur, et leur écho vingt-quatre ans après, quand on découvre que beaucoup de familles s’étaient volatilisées lors de ces événements-là. Un colonel de la Stasi et son obsession perverse pour une famille mise sous surveillance, ou de la haine à l’état pur. C’est une œuvre de fiction, oui, mais les méthodes, les techniques du colonel et de l’appareil, c’est la réalité, et peut-être en dessous de la réalité. Pour un lecteur qui a connu le régime totalitaire et sa police, le souvenir des atrocités commises à l’époque de la Stasi (ou de la Securitate ou du KGB) a un effet différent que pour un lecteur occidental, lequel lecteur pourrait flirter avec les principes communistes ou avec le "pacifisme" à n’importe quel prix, ce que l'on voit à propos de l'invasion russe en Ukraine. Cela dit, la littérature reste la meilleure thérapie, comme je l’ai souvent écrit dans les notes publiées sur CEFRO (http://www.cefro.pro/archive/2023/07/25/la-litterature-to...

27/06/2023

J'ai 28 ans...

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(Photo- Thèse

 

C’est l’anniversaire de ma belle Thèse, laquelle n’a pas été qu’une simple Thèse, sinon je n’en parlerais pas, car il existe des millions de Doctorats. Elle a été l’élément autour duquel s’est construit mon parcours depuis 1995, entre la Roumanie et la France, mais pas dans ce sens normal, que le titulaire d’un tel diplôme serait en droit d’espérer. Ce fut, en définitive, le parcours du héros (dans ce cas précis, de l’héroïne), c'est-à-dire un roman…J'y ai défendu une vision personnelle du récit, de la construction et de l'identité du Sujet. Le résultat avait été Très Honorable à la Majorité. Il ne m'a servi à rien, sinon à résister en France, en conservant l'estime de soi - le meilleur rempart qui soit (si, quand même, en tant que dirigeante de CEFRO et organisatrice de cours européens, j'ai pu apposer ma signature Docteur ès lettres sur des documents). Le 27 juin 1995, à 14 h 30, j'étais assise à une petite table devant le Jury universitaire dans la Salle du conseil de la Faculté des lettres, salle comble, d'ailleurs. Ce jour-là, j'ignorais que ce que j'avais défendu pendant quatre heures allait être du vécu, en quelque sorte. J'étais satisfaite après un énorme travail, et aussi que mon approche fût appréciée et reconnue comme particulièrement neuve.
Heureusement ou non, l'identité du Sujet est bien plus qu'une identité nationale.

Alors, comme chaque année, je prends sur l'étagère de ma bibliothèque l’exemplaire de 453 pages (que j'ai tapé toute seule sur un ordinateur qui m'avait été prêté), je l’ouvre au hasard et lis un peu. 

Je m'arrête à une certaine idée, celle de l’Ethos immanent dans la structure de notre psyché. Il y a dix ans, j’ai lu la Conférence sur l’éthique que Wittgenstein avait présentée devant un public de non-philosophes (j’ai aussi écrit une petite note sur ce blog, en 2013). Wittgenstein dit que l’éthique ne saurait être une théorie, mais qu’elle a un caractère intrinsèquement personnel, et pour cela elle se pense toujours dans un contexte et dans des pratiques déterminées. L'analyse détaillée des aspects physiques et psychologiques de nos actions ne nous révélera jamais ce qui les lie à l'éthique, mais c'est notre attitude vis-à-vis de ces actions qui les rend éthiques, plus exactement la manière dont nous arrivons à nous extraire des faits pour les contempler comme d'un point de vue extérieur. Il dit, par exemple, que lorsque quelqu'un face à une décision importante se demande "Que dois-je faire?", le sérieux de cette question est "éthique" parce qu'il se distingue d'autres types de choix. Donc, l'éthique est dans l'attitude du sujet qui expérimente et qui éprouve. Le monde de l'homme heureux n'est pas le même que le monde de l'homme malheureux, bien que les faits qui le constituent soient identiques, c'est le regard qui change, la volonté à l'égard de ce monde qui est différente, mais pas le monde lui-même. En voulant exprimer l'inexprimable (tout comme la religion ou l'esthétique), l'éthique se confronte aux limites du langage, elle ne peut pas s'énoncer sous la forme de propositions douées de sens, mais elle peut se montrer à travers des expériences qui la révèlent dans son authenticité.

Encore une fois, c'est une histoire de sujet (je dirais de sujet singulier). J’aime aussi Wittgenstein parce qu’il ne méprise pas cette littérature "mineure" (les polars), où il dit trouver des exemples d'expériences éthiques souvent plus profondes que celles présentes dans les ouvrages de philosophie. Aujourd'hui, comme nous constatons, l'intelligence artificielle est capable de remplacer tout à fait l'humain dans bien des domaines, y compris dans celui de la rédaction de contenus. A partir de mots-clés, un robot dernière génération peut nous offrir un texte parfaitement rédigé: une description, une publicité, et pourquoi pas un article d'information, à la place du journaliste. Et c’est Wittgenstein qui observait déjà où serait le vrai danger de ce progrès: "Nous ne devons pas craindre que nos machines nous dépossèdent de la pensée -mais peut-être avoir peur qu'elles ne nous incitent à cesser de penser par nous-mêmes. Ce qui leur manque, ce n'est pas la puissance de calcul, mais l'animalité. Le désir et la souffrance, l'espoir et la frustration sont les racines de la pensée, pas le calcul mécanique". 

Dans ce bref PDF, quelques extraits de mon travail de 1995 (à l’époque, je n’avais pas encore lu Wittgenstein), autour de l’éthique. L’homme est sa propre providence, de lui seul dépendent son sort essentiel, sa joie ou son angoisse de vivre. Son rapport au monde, qui s’exprime en termes de plaisir et de quête de la jouissance, est réglé par une instance sur-consciente, une justice immanente, qui est créatrice de toutes les images métaphysiques, de toutes les divinités (juges de la conduite humaine) que l’esprit humain a engendrées, de l’animisme au monothéisme. Déchiffrer les sens profonds derrière les mythes, c’est accéder aux vérités du fonctionnement psychique que seule la pensée symbolique peut exprimer, parce qu’elle est fondée sur l’analogie et l’intuition. La symbolique compare analogiquement les combats intra-psychiques avec les combats extérieurs. Et dans cette perspective, l’amour courtois est un effort unique de symbolisation pour sublimer la violence des mœurs par le discours poétique. Un exemple d’aptitude à la civilisation. 

15/01/2023

La culture nationale

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(Mes photos- Des jacinthes de Nice, en souvenir de mon frère)

En Roumanie, le 15 janvier est le Jour de la culture nationale, c’est le jour de naissance du poète Mihai Eminescu (15 janvier 1850). J’ai cherché dans les Archives de ce blog et j’ai retrouvé trois notes à ce sujet, et avec lesquelles je suis toujours d’accord, donc je les résume.

Selon la formule consacrée, Eminescu est un poète national et universel. National, il l’est sans l’ombre d’un doute, mais son universalité réside dans les thèmes de ses poèmes (l’amour, la nature, l’histoire, le devenir), plutôt que dans une notoriété au-delà des frontières culturelles de la Roumanie. La vérité est que très peu de traductions valables ont pu le faire connaître, et seulement dans deux-trois langues de large circulation. Il faut remarquer que la littérature roumaine est quasiment une inconnue dans le patrimoine universel. C'est le destin d'une langue confinée dans un espace entre l'Occident et l'Orient, et parlée uniquement par son peuple, lequel, à travers son histoire, a été préoccupé par se défendre, survivre, se débrouiller, imiter. Chercher un site sur Eminescu pour lire, en traduction, ses poèmes, je ne le conseille pas. J'ai vu quelques sites qui avaient massacré les poésies, vraiment. Aucun service rendu à l'esprit du poète, bien au contraire. On ne peut s'improviser traducteur de poésie, il faut connaître, dans une égale mesure, la langue source et la langue cible. L'amour ne justifie pas tout.

Alors, affirmer que « le grand poète Eminescu est traduit dans toutes les langues » est, encore une fois, l’un des nombreux rêves de grandeur typiquement roumains, assez loin de la réalité. Comme on le sait bien, on ne traduit pas la poésie, mais on la transpose, et cela parce que la métaphore est liée aux règles sémantiques de profondeur propres à l’esprit de chaque langue, à sa philosophie, c’est-à-dire à sa perception et à sa vision d’elle-même et du monde. C’est la vision qu’une langue exprime qui lui donnera accès à l’universalité. Vouloir, ce n’est pas toujours pouvoir. Dans ma bibliothèque à Nice, j’ai un recueil de poésies d’Eminescu, dans une édition scolaire du temps de mes études (ou de celles de mon fils), apportée de Roumanie, et un billet de banque de 1000, avec le portrait du poète, et qui n’est plus valide. Je les expose sur le bureau, ma façon de marquer le jour.

En janvier 2009, j’ai fait un voyage de quelques jours en Roumanie. Je suis tombée au moment de la célébration des 159 ans de la naissance du poète national, mais aussi d'un scandale qui agitait la classe politique roumaine, plus exactement les clans politiques. J'ai également pu suivre en direct la transmission de la cérémonie d'investiture du président américain, et j'ai parlé au téléphone avec mon fils pour lui dire surtout de rester là où il se trouvait, c'est-à-dire aux States, car la Roumanie serait la même, sinon pire, dans cinquante ans. Il existe une vérité qui crève les yeux, en 2023 la même qu’en 1880, quand le poète écrivait ses articles de journal. Ce quelque chose est profondément enraciné chez nos dirigeants et chez nos politiques, appelons-le comme vous voulez : imposture, mauvaise foi, opportunisme, corruption, etc. « Le mal essentiel qui ronge la vitalité de notre peuple, c’est la démagogie », écrivait Eminescu. Plus actuel que jamais.

Souvenons-nous aussi : « Pour qu’une nation compte, il faut que la moyenne en soit bonne. Ce qu’on appelle civilisation ou simplement société n’est rien d’autre que la qualité excellente des médiocres qui la composent. »  (E.M. Cioran, Ecartèlement)