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12/12/2021

Voyage aux Etats-Unis/Novembre-Décembre 2021

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(Mes photos -Greenville, S.C)

Les grands voyages, surtout quand ils n’ont pas un but touristique, comme dans mon cas, ont pour caractéristique commune de vous recentrer sur vous-même, de vous amener à vous interroger sur le sens de votre vie - passée, présente, future. C’est un mécanisme semblable au parcours initiatique. Souvenons-nous que le héros du roman se déplace et agit, en effectuant le trajet du Sujet singulier qu’il est. La vie est un roman dont vous êtes le héros, le narrateur, le lecteur, et, d’après certains, l’auteur.

Le livre récent de Luc Ferry, Une histoire de la philosophie pour les nuls, résume les réponses apportées par l’esprit humain au cours des siècles aux questions fondamentales du sens de l’existence et de la souffrance. Au tout début, les deux sphères de la vie de l’esprit, la philosophie et la religion, avaient un but commun: donner un sens à la vie et vaincre l’angoisse liée à la mort, en proposant une définition de la sagesse et de la vie bonne. Mais elles ont divergé sur la manière d’atteindre ce but: passer par la foi, ou bien par la lucidité de la raison. Toutes les grandes doctrines philosophiques sont structurées autour de trois axes: le premier, c’est le monde ou le terrain de jeu (la vérité, la connaissance vraie et accessible), le deuxième, ce sont les relations entre les êtres (amour et haine, égoïsme et générosité, préoccupation pour les intérêts particuliers mais aussi pour le Bien commun), à savoir les règles du jeu ou la morale et la politique ou la philosophie pratique, et le troisième, c’est le but du jeu, le fameux pourquoi. L’existence a-t-elle un sens ? Spinoza et Nietzsche disent que non. La philosophie, qui, étymologiquement, est une quête de la sagesse, prend aussi la forme d’une doctrine du salut, mais sans Dieu (c’est pourquoi, elle est une spiritualité laïque). Le salut, nous rappelle l’auteur, réside dans le fait d’être sauvé d’un grand danger ou d’un grand malheur, à savoir des peurs qui emprisonnent notre existence et nous empêchent de parvenir à la sérénité. Parmi toutes, la peur de notre finitude est la plus forte.

 Le livre de Luc Ferry, qui s’adresse aux nuls, est donc structuré de manière didactique (je ne suis pas nulle, mais j’ai admiré la méthode), il explique les réponses apportées par les grandes philosophies et nous fait voir où nous pouvons nous situer à présent. La première réponse est celle des sagesses anciennes (Homère, les stoïciens, les épicuriens, le bouddhisme), autrement dit, une cosmologie: la vie bonne est la mise en harmonie de soi avec l’univers pour devenir un fragment d’éternité. La deuxième réponse est celles des grandes religions: se mettre en harmonie avec les commandements divins, pour arriver au salut, pour mériter d’avoir un droit d’entrée dans une vie éternelle qui sera infiniment meilleure au ciel que sur la terre. La troisième réponse consiste à mettre sa vie et sa pensée non plus en harmonie avec le cosmos ou avec le divin, mais avec l’humanité, c’est la perspective héritée des Lumières et de l’idée républicaine (l’harmonie, c’est la paix et la justice, c’est mettre sa vie en harmonie avec celle des autres et apporter, autant que possible une contribution au progrès humain, une pierre à l’édifice, et qui restera dans la mémoire des Hommes). La quatrième réponse est celle des grands philosophes du soupçon, Schopenhauer, Marx, Nietzsche, Freud, Heidegger (et leurs différents épigones français de la « Pensée ‘68 »). C’est la philosophie de la déconstruction des naïvetés des siècles passés, des métaphysiques anciennes et des religions, mais aussi de l’humanisme des Lumières. Il s’agit de libérer les êtres humains des différents visages de l’aliénation (celle-ci pensée sur un mode individuel chez Nietzsche ou Freud, ou sur un mode collectif chez Marx). Chez tous ces grands déconstructeurs, y compris Marx, le but est de se mettre en harmonie, non plus avec l’univers, le divin ou l’humanité, mais avec soi-même. Le souci de soi, comme l’appelait Foucault, caractérise l’époque actuelle, celle de la quête du bonheur individuel (psychologie positive, théories du développement personnel). La cinquième réponse vise une harmonie non plus juridique, morale et politique avec l’humanité en général, mais une harmonie affective et amicale, au sens large, avec le prochain et avec celui que nous aimons ou que nous pourrions un jour rencontrer. L’auteur l’appelle un deuxième humanisme ou humanisme de l’amour, un spiritualisme laïc qui s’oppose au premier humanisme, celui des Lumières, qui reste encore un humanisme de la rationalité et de la science. D'après l’auteur, la grande erreur des déconstructeurs a été de croire que la liberté supposait la liquidation de toutes les valeurs supérieures à l’individu. Nietzsche entendait bien casser toutes les idoles, toutes les valeurs transcendantes. Le spiritualisme laïc pour lequel plaide l’auteur est donc un humanisme de l’altérité et de l’amour, qui réinvente de nouveaux rapports au sacré, à des valeurs qui dépassent l’individualisme narcissique issu de la déconstruction des valeurs traditionnelles.

J’aime bien Luc Ferry, je lis certains de ses ouvrages et je l’écoute quand il intervient à la radio ou sur un plateau TV. Il est vrai que son point de vue sur une harmonie affective amicale au sens large avec le prochain me parle beaucoup moins que l’harmonie juridique, morale et politique. En revanche, je sais parfaitement que la meilleure arme de défense peut être la politesse, et c’est une construction, un code social. Parfois, vous ne disposez que de cela pour protéger votre vie. En général, je partage ses opinions politiques, sauf quand il parle de l’Europe des 27 qui ne devrait pas être à 27, mais qui devrait revenir aux pays fondateurs. Il ne précise pas de quels pays l’UE devrait se débarrasser pour aller mieux, mais il ne faut pas être un génie de l’analyse politique pour comprendre. Or, pour la Roumanie, être membre de l’UE, c’est l’unique chance d’exister dans le monde actuel. Bien entendu, en Roumanie aussi, comme ailleurs, le courant identitaire qui clame «l’autonomie et l’indépendance » est entretenu par des populistes.

J’ai fait ce grand voyage aux Etats-Unis parce que mon fils vit là-bas depuis plus de vingt ans, heureusement pour lui. Je suis bien placée pour le dire. C’est un monde organisé, efficace, où le travail, qui compte énormément, est fait de manière professionnelle. Un monde qui sait se redresser après un désastre. On y rencontre un esprit civique, un respect de l’autre, une amabilité qui doivent venir du respect de la loi, mais aussi de la conscience du travail que chacun fait, qu’il soit bag boy (celui qui met vos courses dans des sachets au supermarché), ou serveur au restaurant, payé quelques dollars de l’heure (ses revenus dépendant du pourboire), ou directeur dans une compagnie (et là, quel rythme de travail, quel investissement personnel et professionnel!).

Comme je l’ai écrit au début, ce grand voyage aux Etats-Unis n’a pas été un voyage touristique. J’ai un visa pour dix ans, que j’ai déjà renouvelé deux fois et qui me permet d’y rester six mois. Je ne suis jamais restée plus de trois-quatre semaines. A chaque fois, mes réflexions au retour en Europe évoluent, car l’écart est toujours  important. J’accepte que le monde américain soit ce qu’il y a de meilleur pour mon fils, avec tout ce que cela comporte pour moi. Et je reviens à cette Europe qui fonctionne autrement, et surtout, à cette Roumanie, qui s’est condamnée toute seule.

Mon séjour américain, je l’ai partagé en temps réel sur ma page Facebook -des commentaires, des photos et des vidéos. Un album avec les merveilleux arbres en automne dans la Caroline du Sud ici:  (https://www.facebook.com/media/set/?set=a.101587935555686...).

Plus loin, j’ai copié les liens des posts publiés au au fil des jours.

 

Joyeux Noël ! Bonne fin d’année !

 

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=1015874160151...

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158747838893651&id=601148650

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158754999193651&id=601148650

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158756212993651&id=601148650

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158758065103651&id=601148650

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158762752653651&id=601148650

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158758065103651&id=601148650

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158762752653651&id=601148650

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158765220288651&id=601148650

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158768886268651&id=601148650

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158770172173651&id=601148650

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158775720393651&id=601148650

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158778430203651&id=601148650

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158779389068651&id=601148650

https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158785670418651&id=601148650

 

11/02/2021

La criminalité organisée aux multiples visages

DSC_2502.JPGAux classiques réseaux de proxénétisme, de trafic de personnes ou de de marchandises, vient s’ajouter la cybercriminalité, au fur et à mesure que la technologie devient toujours plus sophistiquée. Un marché se forme, sur le même principe de l’offre et de la demande. Les rançongiciels (ransomware) comptent parmi les logiciels malveillants les plus redoutables et sont considérés comme l’une des plus grandes menaces en cybersécurité. Ils sont utilisés par les hackers et les cybercriminels, et ils peuvent paralyser un système informatique jusqu'à ce que l’utilisateur paye une rançon. Il existe déjà des start-up qui sont spécialisés en la fabrication de ces logiciels malveillants. Ce type d’attaque a pratiquement explosé durant la pandémie. Voici quelques informations trouvées à ce sujet. La rançon moyenne aurait augmenté de 41.000 dollars en 2019 à 234.000 dollars en 2020. En octobre 2020, un hacker a volé les données médicales d’un centre de psychothérapie en Finlande et a ensuite contacté un à un les patients pour leur demander de l’argent. En septembre 2020, une attaque ransomware à la Clinique de l’Université de Düsseldorf a provoqué le crash du système informatique pendant une semaine, l’hôpital n’a pas eu accès à ses données, les patients en urgence ont dû être transportés ailleurs (une patiente admise en urgence est morte), les opérations ont été reportées. De plus en plus de compagnies sont victimes de ces intrusions dans leurs bases de données et se voient obligées de payer. Des contre-logiciels existent en même temps, c’est à se demander qui fait quoi…

La fraude par carte bancaire clonée n’est pas moins lucrative, et elle se situe entre la cybercriminalité et le groupe infractionnel organisé. Depuis huit ans, un groupe d’interlopes roumains sévit au Mexique, dans la région de Cancun, la fraude totalise plus de 1,2 milliards de dollars retirés sur les comptes des touristes. Le mécanisme était assez simple : en possession des données de la carte bancaire, ils retiraient de petits montants, 100-200 dollars, les victimes ne s’en apercevaient pas. Ce sont les autorités mexicaines et le FBI qui ont finalement trouvé la trace de cette fraude qui avait fait de nombreuses victimes parmi les touristes américains et canadiens. Chaque mois, les membres du groupe faisaient venir des compatriotes de Roumanie comme "touristes" à Cancun, ils leur donnaient les cartes clonées avec lesquelles les "touristes" vidaient les distributeurs. Voici la vidéo qui explique ce parcours: https://youtu.be/O9jf-RtpPXM 

Mais le crime organisé le plus structuré, le plus international, qui relie les continents et les économies des pays, reste de loin celui de la drogue. Dans cet enregistrement publié par BRUT sur sa page Facebook on revoit Roberto Saviano en train de résumer le sujet qu’il a traité dans son livre Zero zero zero (paru en France sous le titre Extra pure, en 2014, livre que j’avais acheté et auquel j’avais consacré la note Cocaïne & Company, avec un lien qui envoie vers un document PDF contenant des extraits choisis).  

En regardant hier l’enregistrement, un fait anecdotique m’est revenu en mémoire. J’ai prêté 200 euros retirés sur un compte LEP (où j’ai mille euros, c’est-à-dire que je suis millionnaire -a observé l’employé, avec humour), et, quand on me les a rendus quelques jours après, je les ai reversés sur mon LEP. Eh bien, il a fallu préciser "l’origine des fonds". Alors, comment fait-on pour les montants énormes d’argent sale investi dans l’immobilier, les banques, les commerces, etc., dont parle Saviano ? J'ai donc relu les extraits du livre dans le document PDF de ma note de 2014, et j'ai retrouvé ma confiance: tout est parfaitement organisé, les économies ne risquent pas de s'effondrer...  

07/10/2020

"Eloge de la Force"/Livre

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L’auteur, Laurent Obertone, veut offrir à Monsieur Moyen l’évangile de la puissance, un petit guide très incorrect de développement personnel, sous la forme de dix lois, qui sont autant de règles pour exister, survivre et gagner. C’est pourquoi, normalement, il faut le transmettre aux autres, une façon de le prêcher. On part de la question : que faire contre le système, quand ni coup d’Etat, ni soulèvement populaire ne sont réalistes ? Tu ne dois pas chercher à abattre violemment le système - il y parviendra bien tout seul. Tu dois le réduire de son vivant, le désarmer, le disgracier dans les esprits. Il doit tomber sans te détruire… Ainsi, si tu parviens à le tuer de manière contrôlée, tu auras une chance, une petite chance, de renverser la vapeur, de remettre ce pays sur les rails, d’en chasser les voleurs et les parasites, de restaurer une société d’esprits libres. (…) C’est la possibilité de Big Brother qu’il faut éliminer. L’influence des esprits libres doit être assez forte pour tenir les foules loin d’un nouvel esclavage. Il faut apprendre à mettre de l’ordre dans ses habitudes quotidiennes, à tenir à distance la propagande sous toutes ses formes, les plus sournoises, à éviter la domestication, à cultiver ses compétences, son autonomie, son indépendance. Car devenir, c’est une guerre de soi contre soi, qui implique du recul, de la solitude, du calme. Le changement collectif passe par le changement individuel.

Vous trouverez des extraits du livre dans ce document PDF. Ma sélection donne la priorité à l’argumentaire et à la méthode, mais le livre, en son entier, rappelle, énumère et décrit, avec réalisme et un certain humour, tous les aspects de notre vie où est présent l’ennemi. Je te parle d’ennemi à l’échelle humaine. Bien sûr, Big Brother est un monstre, une machine, étatique et infernale, mais humaine est cette machine, et humains sont ses rouages. Les tueurs de mondes disposent d’une arme redoutable, la morale. C’est elle qui a mis ton continent à genoux. Quel sera l’avenir du genre humain domestiqué par la propagande ? Souvenons-nous que la dictature n’a rien à voir avec la force. C’est la lâcheté du nombre. Le pire des excitants domestiques...  

Ce livre me parle à bien des égards, et c’est pourquoi je me suis appliquée à réunir quelques extraits dans un document. Pour résumer, j’ai passé trente-six ans de ma vie dans un Etat totalitaire (je suis née quand Staline est mort, mais pas le communisme), et je vis en France depuis vingt-huit ans. Au début de ma deuxième vie, je ne comprenais pas vraiment pourquoi je reconnaissais des mécanismes et des ressorts, malgré leur apparence différente. Durant ces presque trois décennies de travail (tel que j’ai pu le trouver ou le créer en France), il m’est arrivé bien des fois de regretter de ne pas avoir choisi les Etats-Unis (l’espoir de mes grands-parents en ’45), mais je n’étais pas médecin (dans les années '90, les Etats-Unis recevaient les médecins formés à l’Est). Quant à un autre pays européen, je ne parle pas l'allemand. Mes qualifications sont en français : j’étais professeur de français dans ma première vie, j’ai obtenu un doctorat français et ajouté des compétences nouvelles, plus éloignées de la littérature, dans la deuxième. Et j’ai fait ce que j’ai pu, avec mes seules compétences et mes idées, sans aucune aide, sans subventions, sans relations, sans même un coup de pouce.. Bien évidemment, seul, on n’arrive jamais très loin, ou, pour paraphraser le merveilleux personnage : Droit devant soi, on ne peut pas aller bien loin. Mais on peut gagner en lucidité. C’est ainsi que j’ai commencé à déchiffrer ces ressorts familiers et à mettre en place la même stratégie de comportement que dans ma première vie (dans l’Etat totalitaire reconnu comme tel), afin de garder une certaine indépendance d’esprit et de mouvement. Et parce que le livre me parle, j’en parle.

01/09/2020

Panaït Istrati, d'une langue à l'autre

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(Mes photos- La Méditerranée à Villefranche-sur-mer)

Figure de la littérature roumaine de l’entre-deux-guerres, Panaït Istrati raconte, dans ses récits autobiographiques, les nombreux voyages qu’il fait en Italie, en Egypte, en Suisse, au Liban, en Grèce, voyages qui sont pourtant voués à l’échec. Ses incessantes errances à l’étranger dévoilent, dans des histoires amusantes ou tristes, des endroits et des personnages pittoresques, mais aussi la pauvreté et la misère qu’il rencontre partout. « C’est de justice que j’avais soif », écrit-il à Romain Rolland, et nous retrouvons cette soif aussi bien dans ses écrits autobiographiques, que dans les textes politiques du syndicaliste qu’il était.

Elisabeth Geblesco, psychanalyste et enseignante à la Faculté des Lettres de l’Université Nice, née dans une famille tant française que roumaine, est l’auteur d’une thèse de doctorat consacrée à Panaït Istrati, la première en France. En 1989, l’année qui allait changer la face du monde, elle en a proposé une version pour un public plus large, sous la forme de l’ouvrage Panaït Istrati et la métaphore paternelle, publié aux Editions Anthropos-Economica, collection Psychanalyse. L'objet du livre: retrouver dans l’écriture d'un auteur roumain francophone, Panaït Istrati en l'occurrence, la trace de "la métaphore paternelle inconsciente" et faire fonctionner celle-ci. Avec ce texte, l’auteur psychanalyste restitue à l’écrivain roumain sa vérité, en déchirant l’étiquette qui lui était souvent attachée, celle de vagabond inspiré. Car Panaït Istrati est unique dans son genre, si nous pensons que les autres auteurs issus comme lui des couches populaires ont, en règle générale, écrit dans leur langue maternelle et non dans une langue étrangère apprise sur le tard.

Le livre m’a été offert par Elisabeth Geblesco le 6 août 1991 (fête de la Transfiguration, voilà comment on est dans le réel, le symbolique et l’imaginaire, à chaque instant), lors de mon deuxième séjour à Nice, avec cette dédicace : « A Carmen Nedelea (au nom istratien…) en toute amitié ». Il est vrai que je venais d’une ville sur le Danube, située à 30 km de celle de l’écrivain roumain. Durant mes propres années de doctorante à Nice, l’université m’a accordé une bourse en échange de douze heures de travail hebdomadaire à la bibliothèque universitaire, où il m’est arrivé de répertorier des documents d’archives concernant Panaït Istrati. Elisabeth Geblesco est décédée la même année que mon père, en 2002.

Mais que cherche Panaït Istrati en quittant sa ville au bord du Danube pour une longue errance « sur les rives de la Méditerranée, où se lève et se couche le soleil » ? Il rend visite à Romain Rolland en 1922, après lui avoir envoyé une lettre trois ans plus tôt. L’écrivain français l’encourage à écrire. Panaït Istrati vit sur la Côte d’Azur, le plus souvent à Nice, il se rend de temps en temps à Paris. Invité aux fêtes du dixième anniversaire de la révolution, il part pour Moscou, il visite l’URSS dans des groupes officiels. Mais ce qu’il voit en URSS est différent de l’image que s’en faisaient les intellectuels français, il le dit, l’écrit, et c’est ce qui va causer la rupture avec Romain Rolland. « Alors qu’un Louis Aragon, un Romain Rolland, par exemple, ont attendu sciemment tant d’années non pas pour révéler eux-mêmes mais pour permettre que la vérité soit dite sur le sort des travailleurs en URSS, Panaït Istrati a osé écrire qu’une nouvelle classe possédante régnait en Russie, qui opprimait les paysans et les ouvriers aussi férocement que l’avait fait l’ancienne. Ainsi, Istrati fut l’un des premiers à dénoncer la dictature soviétique au nom de l’éthique, comme au nom des travailleurs, ouvriers et paysans, dont il était issu. (…) Cela au nom d’une vision de l’homme avant tout éthique : l’homme est valeur suprême pour l’homme, et ce qui atteint le plus misérable des humains atteint l’humanité en son entier. (…) De ce témoignage, Istrati mourra. Solitaire, déshonoré, accablé des insultes de la gauche européenne, réduit à la misère physique, matérielle et morale. Lorsqu’il écrit à Nikos Kazantzaki ces quelques mots tragiques : « Ecoute, Nikos, c’est la Russie qui m’a tué… »  soyons sûrs qu’il ne s’agit pas d’un effet rhétorique mais de la plus crue des vérités. »

C’est là une réflexion sur le Pouvoir et sur l’Ethique qui sera toujours d’actualité.

Voici un extrait de Mes départs, écrit pendant qu’il vit à Saint-Raphaël en 1927, et paru aux Editions Gallimard en 1928.

 

 

Pour atteindre la France

 A Charlie Chaplin, -l’humain « Charlot », que je ne connais que par ses films, je dédie ce film de ma vie. P.I

III Direttissimo

Pour atteindre la France  -qui a toujours été regardée par l’Orient comme une amante idéale – nombre de vagabonds rêveurs se sont éperdument lancés à son appel, bien plus qu’à sa conquête, mais la plupart, les meilleurs peut-être, ont laissé leurs os avant de l’avoir connue, ou après, ce qui revient au même. Car il n’y a de beauté que dans l’illusion. Et qu’on atteigne ou non le but de sa course, l’amertume a presque le même goût dans les deux cas. Les fins se valent toujours. Ce qui importe, pour l’homme aux désirs démesurés, c’est la lutte, la bataille qu’il livre à son sort pendant que ses désirs persistent : voilà toute la vie, la vie du rêveur.

Je suis un de ces rêveurs. Et j’ai voulu jadis, entre tant d’autres désirs, atteindre aussi la terre française. Voici une de mes tentatives échouées, la plus belle.

Je me trouvais au Pirée (il y a de cela juste vingt ans), en compagnie du meilleur frère de route que mon existence ait connu, le seul ami dont l’âme se soit jamais entièrement soudée à la mienne. Et cependant, nous allions nous séparer : une tristesse intime, qui venait de déchirer subitement son cœur, l’arrachait à ma passion amicale et l’envoyait s’enfermer pendant quelque temps dans un monastère du mont Athos.

Pendant trois jours, après notre débarquement au Pirée, nous nous promenâmes, silencieux et chagrins, parmi des ruines glorieuses qui ne firent qu’augmenter la détresse de nos pauvres âmes ; puis, l’instant vint où nous dûmes nous embrasser, pour ne plus nous revoir peut-être. Ah ! que cela est triste lorsqu’on aime un homme ! De notre dernier repas, -du pain et des olives étalés sur un journal, - nous ne pûmes presque rien avaler. La petite chambre d’hôtel nous semblait mortuaire. Nous séparâmes nos effets, partageâmes notre avoir commun, une soixantaine de drachmes, et pleurâmes bravement.

Comme je voulais partir pour la France, et que mon ami s’y opposait, il me dit une dernière fois :

-N’y va pas…Sois raisonnable…Tu as une mère qui tremble pour ta vie. Tant que nous étions ensemble, cela pouvait encore aller : je parle plusieurs langues et suis plus débrouillard que toi. Mais, seul, tu souffrirais beaucoup plus.

Puis l’Occident, qui a des ailes de nuit, est plus dur pour les vagabonds que l’Orient, qui n’en a point. Laisse au diable Marseille : si tu savais ce que cette ville me coûte ! Rentre chez toi, épouse une petite nigaude cousue d’or, vis d’un travail assuré et meurs en paix. Les rêves ?...Couve-les au coin du feu de ta cheminée, qui est moins coûteux que celui qui embrase le sang : le jour de ta mort, ton visage en portera moins de balafres. Crois-moi, Panaït…Le bilan de tous les rêves vécus se chiffre par des désastres. Et il est juste qu’il en soit ainsi ; autrement, il n’y aurait que des rêveurs. Allons…Promets-moi que tu prendras demain le bateau de Constantza.

Mon ami me parlait en me serrant les deux mains, et ses beaux yeux humides, son beau visage de frère étaient tendrement faux : il ne croyait qu’à moitié ce qu’il disait, il mentait affectueusement.

Je lui mentis à mon tour, en lui promettant de suivre ses conseils, et il partit convaincu que je n’en ferais rien, car ce n’est pas en vain que nous étions de la même trempe.

Dès que je me trouvai seul, la terre se vida de sens, les hommes me parurent absurdes ; le lendemain, debout sur le quai, les oreilles bourdonnant des belles rimes françaises que mon ami récitait le soir, je laissais les dernières embarcations accoster le bateau roumain, puis le bateau lui-même partir vers Constantza.

Deux jours après, un navire de la Compagnie des Messageries maritimes, le Saghalien, partait pour Marseille, via Naples.

Je fis ma valise. (…)

 


Mise à jour (2 septembre) Panaït Istrati a une rue d'environ 70 m qui longe la façade du Collège Don Bosco, à Nice. Je l'ai découverte par hasard, en février dernier, en descendant par là, et je suis repassée ce matin pour prendre une photo

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