27/06/2023
J'ai 28 ans...
(Photo- Thèse)
C’est l’anniversaire de ma belle Thèse, laquelle n’a pas été qu’une simple Thèse, sinon je n’en parlerais pas, car il existe des millions de Doctorats. Elle a été l’élément autour duquel s’est construit mon parcours depuis 1995, entre la Roumanie et la France, mais pas dans ce sens normal, que le titulaire d’un tel diplôme serait en droit d’espérer. Ce fut, en définitive, le parcours du héros (dans ce cas précis, de l’héroïne), c'est-à-dire un roman…J'y ai défendu une vision personnelle du récit, de la construction et de l'identité du Sujet. Le résultat avait été Très Honorable à la Majorité. Il ne m'a servi à rien, sinon à résister en France, en conservant l'estime de soi - le meilleur rempart qui soit (si, quand même, en tant que dirigeante de CEFRO et organisatrice de cours européens, j'ai pu apposer ma signature Docteur ès lettres sur des documents). Le 27 juin 1995, à 14 h 30, j'étais assise à une petite table devant le Jury universitaire dans la Salle du conseil de la Faculté des lettres, salle comble, d'ailleurs. Ce jour-là, j'ignorais que ce que j'avais défendu pendant quatre heures allait être du vécu, en quelque sorte. J'étais satisfaite après un énorme travail, et aussi que mon approche fût appréciée et reconnue comme particulièrement neuve.
Heureusement ou non, l'identité du Sujet est bien plus qu'une identité nationale.
Alors, comme chaque année, je prends sur l'étagère de ma bibliothèque l’exemplaire de 453 pages (que j'ai tapé toute seule sur un ordinateur qui m'avait été prêté), je l’ouvre au hasard et lis un peu.
Je m'arrête à une certaine idée, celle de l’Ethos immanent dans la structure de notre psyché. Il y a dix ans, j’ai lu la Conférence sur l’éthique que Wittgenstein avait présentée devant un public de non-philosophes (j’ai aussi écrit une petite note sur ce blog, en 2013). Wittgenstein dit que l’éthique ne saurait être une théorie, mais qu’elle a un caractère intrinsèquement personnel, et pour cela elle se pense toujours dans un contexte et dans des pratiques déterminées. L'analyse détaillée des aspects physiques et psychologiques de nos actions ne nous révélera jamais ce qui les lie à l'éthique, mais c'est notre attitude vis-à-vis de ces actions qui les rend éthiques, plus exactement la manière dont nous arrivons à nous extraire des faits pour les contempler comme d'un point de vue extérieur. Il dit, par exemple, que lorsque quelqu'un face à une décision importante se demande "Que dois-je faire?", le sérieux de cette question est "éthique" parce qu'il se distingue d'autres types de choix. Donc, l'éthique est dans l'attitude du sujet qui expérimente et qui éprouve. Le monde de l'homme heureux n'est pas le même que le monde de l'homme malheureux, bien que les faits qui le constituent soient identiques, c'est le regard qui change, la volonté à l'égard de ce monde qui est différente, mais pas le monde lui-même. En voulant exprimer l'inexprimable (tout comme la religion ou l'esthétique), l'éthique se confronte aux limites du langage, elle ne peut pas s'énoncer sous la forme de propositions douées de sens, mais elle peut se montrer à travers des expériences qui la révèlent dans son authenticité.
Encore une fois, c'est une histoire de sujet (je dirais de sujet singulier). J’aime aussi Wittgenstein parce qu’il ne méprise pas cette littérature "mineure" (les polars), où il dit trouver des exemples d'expériences éthiques souvent plus profondes que celles présentes dans les ouvrages de philosophie. Aujourd'hui, comme nous constatons, l'intelligence artificielle est capable de remplacer tout à fait l'humain dans bien des domaines, y compris dans celui de la rédaction de contenus. A partir de mots-clés, un robot dernière génération peut nous offrir un texte parfaitement rédigé: une description, une publicité, et pourquoi pas un article d'information, à la place du journaliste. Et c’est Wittgenstein qui observait déjà où serait le vrai danger de ce progrès: "Nous ne devons pas craindre que nos machines nous dépossèdent de la pensée -mais peut-être avoir peur qu'elles ne nous incitent à cesser de penser par nous-mêmes. Ce qui leur manque, ce n'est pas la puissance de calcul, mais l'animalité. Le désir et la souffrance, l'espoir et la frustration sont les racines de la pensée, pas le calcul mécanique".
Dans ce bref PDF, quelques extraits de mon travail de 1995 (à l’époque, je n’avais pas encore lu Wittgenstein), autour de l’éthique. L’homme est sa propre providence, de lui seul dépendent son sort essentiel, sa joie ou son angoisse de vivre. Son rapport au monde, qui s’exprime en termes de plaisir et de quête de la jouissance, est réglé par une instance sur-consciente, une justice immanente, qui est créatrice de toutes les images métaphysiques, de toutes les divinités (juges de la conduite humaine) que l’esprit humain a engendrées, de l’animisme au monothéisme. Déchiffrer les sens profonds derrière les mythes, c’est accéder aux vérités du fonctionnement psychique que seule la pensée symbolique peut exprimer, parce qu’elle est fondée sur l’analogie et l’intuition. La symbolique compare analogiquement les combats intra-psychiques avec les combats extérieurs. Et dans cette perspective, l’amour courtois est un effort unique de symbolisation pour sublimer la violence des mœurs par le discours poétique. Un exemple d’aptitude à la civilisation.
16:24 Publié dans Actualités, Archives, Emploi, Evénement, Livre, RO-EU-USA/Coopération | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : thèse, anniversaire, éthique, conflits psychiques, symbolisation, analogie | Facebook | |
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01/06/2023
Bonne continuation!
(Photo- Square Durandy, Nice)
" We turn not older with years but newer every day."
(Emily Dickinson)
Les anniversaires sont ce moment particulier où les souvenirs profitent de l'occasion pour se bousculer et envahir notre espace intérieur, celui que nous nous donnons du mal à ranger, à recadrer, à adapter, a synchroniser constamment. Pour le mien, j’ai choisi quelques notes dans les Archives de ce blog ouvert en 2004. Mais avant d’indiquer les hyperliens, je tiens à évoquer (de nouveau) les propos de Herta Müller, prix Nobel de littérature 2009 :
"Si je n'étais pas partie, il m'aurait été impossible de résister ici! Rien qu'en pensant au contact quotidien avec la réalité roumaine, je me rends compte que je deviendrais folle une seconde fois si je devais vivre dans la Roumanie d'aujourd'hui. Il y a tant d'indifférence dans ce pays, et l'indifférence de la population explique aussi tout ce qui se passe (…) La Roumanie post-communiste n'a pas enlevé tous les masques de l'horreur communiste (…) Les Services secrets de Ceausescu n'ont pas été dissous, mais renommés SRI. Un ex-collaborateur de la Securitate peut occuper n'importe quelle fonction aujourd'hui en Roumanie."
Mon végétal de compagnie - Une histoire d’amour (2005)
Good bye ! Welcome ! (2013)
Des cauchemars (2020)
Anniversaire 30 (2020)
Une manière de résister (2021)
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01/08/2022
Trente-deux ans
On se souvient. Assise dans l'herbe un jour d'été ("elle se sentait tout endormie et toute stupide à cause de la chaleur"), Alice voit un Lapin Blanc passer en courant près d'elle et dire à mi-voix: "Oh, mon Dieu !" Oh, mon Dieu ! Je vais être en retard !". Elle ne trouve pas cela bizarre, sauf lorsque le Lapin tire une montre de sa poche de gilet, ce qu'elle n'a jamais vu. "Dévorée de curiosité", elle traverse le champ en courant à sa poursuite, le voit disparaître dans un énorme terrier, et elle y entre aussi, "sans se demander une seule fois comment diable elle pourrait bien en sortir."
Le Lapin Blanc, c'est l'élément initiateur sans lequel le voyage n'aurait pas été possible. Il est d'ailleurs le seul animal autorisé à passer du monde imaginaire dans le monde réel, et il permet le passage entre ces deux mondes.
J'ai pris cette photo-métaphore au rayon bébés, aux Galeries Lafayette. Il y a 32 ans, jour pour jour, j'entrais en France, à Nice, après un voyage de deux jours et deux nuits, en train, à travers trois pays de l'Est européen..
2015. C'est l'un des palmiers du côté de la Gare, que j'ai sûrement regardés, émerveillée, il y a 25 ans, quand j'arrivais à Nice, pour la première fois, le 31 juillet 1990. J'ai aussi écrit quelques lignes sur le blog:
http://elargissement-ro.hautetfort.com/archive/2015/07/31...
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24/07/2021
Persévérer (dans son être)
(Mes photos - Des cactus fleuris )
Sur France Culture, j’écoute le récit d’une survivante des camps, née en Roumanie, d’origine hongroise. C’est dans un livre fait de rencontres entre des survivants des camps et des jeunes d'aujourd'hui, un ouvrage témoin de cette ultime transmission (Karine Sicard-Bouvatier, Déportés, leur ultime transmission, Editions La Martinière, 2021). A la question comment elle a fait pour tenir, la survivante de 92 ans répond simplement que c’est par la phrase de Cervantès : « Je vis du désir que j’ai pour vivre ». Elle explique ensuite que l’indifférence est ce qu’il y a de pire, et qu’il faut, par-dessus tout, aimer la vie.
J’ai donc débuté ma journée avec cette phrase de Cervantès, en me rappelant que l’on pouvait tomber amoureux d’une phrase. Et puis, il y a les synchronicités - des coïncidences, des événements reliés par hasard d'une manière significative, mais que seul le Sujet peut relier dans son cadre spatio-temporel pour en construire une représentation significative. C’est le Sujet qui donne une interprétation à ce qui semble être une coïncidence. La veille de l’émission sur France Culture, j’ai repéré, dans mon porte-monnaie, une pièce de 10 centimes avec le profil de Cervantès émise en 2003. Je l’ai sortie du circuit et mise de côté. D'un coup, tout est remonté à la surface avec la force qu’a toujours le souvenir lié à l’émotion, surtout quand l’émotion est négative, car l’année 2003 avait été peut-être la plus compliquée pour moi (travail, remboursement des crédits). En même temps, c’est pendant cet été caniculaire que mon esprit m’avait sauvée vraiment, en me faisant acheter deux volumes de Spinoza chez Virgin Mégastore. L’une de mes plus belles expériences intellectuelles et spirituelles.
Comme dit Antonio Damasio, le corps, le cerveau et l’esprit sont les manifestations d’un organisme unique, ils sont inséparables dans les conditions normales de fonctionnement. Maintenant, on connait le mécanisme : si un contenu émotionnel trop fort ne pourra pas être « métabolisé » (ne pourra pas arriver au cortex), il restera bloqué dans le cerveau limbique. C’est-à-dire que les sensations et les émotions resteront dissociées du cortex frontal (d’où le traumatisme possible). J’ai d’ailleurs décrit le mécanisme du syndrome post-traumatique dans la note de mai de CEFRO : pour que l’information soit présentée au cortex sans le submerger, l’intensité des réactions émotionnelles doit être abaissée.
C’est exactement ce que la lecture du philosophe avait fait dans mon cas: elle avait abaissé l’énorme intensité émotionnelle. J’ai recherché la trace de Spinoza dans les Archives de ce blog, et j’ai trouvé, parmi d’autres, l’année 2005. C’est là où j’explique à ma manière, la révolte l’emportant sur la réserve, comment Spinoza était intervenu. (Intégration –modèle français). Je suis tombée aussi sur une note de 2013, Good bye... ! Welcome...!, à propos d'anniversaire (ce moment particulier où les souvenirs se mobilisent pour nous envahir) contenant un extrait d'un roman de James Lee Burke où il est question du karma. Et puisque juillet est toujours lié au moment où je suis arrivée en France, la note Anniversaire (30) de l’année dernière.
21:10 Publié dans Actualités, Evénement, Livre, Web | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anniversaire, spinoza, cervantès, vivre, persévérer, désir | Facebook | |
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