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17/08/2023

La littérature, un témoin qui ne meurt jamais

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(Photo -Ma fenêtre à Nice)

De nouveau, ces propos que j'ai déjà eu l'occasion de citer dans des notes antérieures, mais qui me parlent beaucoup, c'est un concentré:

"Si je n'étais pas partie, il m'aurait été impossible de résister ici! Rien qu'en pensant au contact quotidien avec la réalité roumaine, je me rends compte que je deviendrais folle une seconde fois si je devais vivre dans la Roumanie d'aujourd'hui. Il y a tant d'indifférence dans ce pays, et l'indifférence de la population explique aussi tout ce qui se passe (…) La Roumanie post-communiste n'a pas enlevé tous les masques de l'horreur communiste, dont le plus perfide reste celui de la délation, et le plus terrible, celui de l'annihilation de l'intimité (...). Les Services secrets de Ceausescu n'ont pas été dissous, mais renommés SRI. Un ex-collaborateur de la Securitate peut occuper n'importe quelle fonction aujourd'hui en Roumanie ", écrivait Herta Müller dans Die Zeit (cité dans RL), en 2009.

 Le site DW publie aujourd'hui un article à l’occasion de l’anniversaire de Herta Müller, prix Nobel de littérature 2009: « Herta Müller a écrit pour les Roumains les livres qui leur manquaient », dont je résume quelques idées. Harcelée par la Securitate parce qu’elle écrivait ce qu’il ne fallait pas, elle avait été obligée de quitter la Roumanie. Elle écrit en allemand, ce qui fait d’elle un écrivain allemand. Néanmoins, sans la vie vécue en Roumanie, avec les traumatismes subis, les trahisons des amis qui l’ont dénoncée à la Securitate, les sacrifices assumés, les mensonges entendus, la peur du système qui lui a donné en même temps le courage de s’y opposer, la force de ses écrits (autobiographiques pour la plupart) n’aurait pas été aussi pénétrante. Elle a écrit sur la dictature, mais aussi sur la manière dont la majorité de la population et les institutions avaient participé au maintien du régime. Elle a su ne pas abandonner ses principes et défendre ses opinions au risque d’une sincérité qui embarrasse. Elle a refusé d’oublier, de passer l’éponge sur les humiliations et les abus vécus pendant la dictature, elle a nommé les choses, en ne permettant pas aux lecteurs d’oublier l’absurde de ce monde-là. C’est pourquoi elle a dérangé et dérange toujours l’espace public roumain. Un écrivain qui continue de rappeler que la Police politique n’est pas morte, mais qu’elle a proliféré, en créant un capitalisme de clan et de clientélisme joyeux et insouciant, cet écrivain ne pourrait être commode pour une société qui préfère fermer les yeux et se laisser diriger par les successeurs des anciens abuseurs, justement parce qu'il rappelle ce que la majorité intellectuelle souhaite oublier ou plutôt camoufler. Sa traductrice en roumain, Corina Bernic, observe que ce qui en Roumanie a été considéré comme une atteinte au sentiment national de la part de Herta Müller, est en vérité, au contraire, une preuve d’amour et de regret, car vous ne critiquez que ce qui vous intéresse, ce que vous pensez être réparable. Autrement, vous restez indifférent et vous ne vous retournez plus sur le passé. Herta Müller n’a jamais cessé d’interroger le passé.

J’ai lu l’article de DW sur Facebook et j’ai laissé un commentaire, en citant les mots de Herta Müller en 2009, et qui figuraient dans une note sur ce blog. Un bon Roumain m’a injuriée, moi, "avec la Juive Herta". Je l’ai bloqué, la moindre des choses. Mais c’est un détail révélateur. Derrière l’écran, on peut plus facilement déverser sa haine. Et il y a de la haine, beaucoup de haine, si vous touchez le point névralgique de la complicité.

A propos de la haine de la Police politique de la dictature, viscérale car liée au sentiment national et à l’idéologie, je viens de lire un roman de l’auteur danois Michael Katz Krefeld (« Savnet », 2014/ « Disparu », Actes Sud, 2020) qui retrace les derniers jours de la Stasi, avant la chute du Mur, et leur écho vingt-quatre ans après, quand on découvre que beaucoup de familles s’étaient volatilisées lors de ces événements-là. Un colonel de la Stasi et son obsession perverse pour une famille mise sous surveillance, ou de la haine à l’état pur. C’est une œuvre de fiction, oui, mais les méthodes, les techniques du colonel et de l’appareil, c’est la réalité, et peut-être en dessous de la réalité. Pour un lecteur qui a connu le régime totalitaire et sa police, le souvenir des atrocités commises à l’époque de la Stasi (ou de la Securitate ou du KGB) a un effet différent que pour un lecteur occidental, lequel lecteur pourrait flirter avec les principes communistes ou avec le "pacifisme" à n’importe quel prix, ce que l'on voit à propos de l'invasion russe en Ukraine. Cela dit, la littérature reste la meilleure thérapie, comme je l’ai souvent écrit dans les notes publiées sur CEFRO (http://www.cefro.pro/archive/2023/07/25/la-litterature-to...

04/12/2016

Les oraisons funèbres

Pour le jour des funérailles de Castro je vais transposer quelques extraits de l’article publié ce matin sur le site roumain In linie dreapta. C’est une manière d’exprimer ma colère personnelle envers l’aveuglement moral et l'hypocrisie, aussi bien par le choix de cet article, que par la rédaction de la note: pas d'image, pas de noms en caractères gras. Le minimum que je puisse faire.

Fidel Castro est mort. « La dernière grande figure politique du XXe siècle », a déclaré la gauche planétaire par la bouche de présidents d’Etats, de premiers ministres, d’écrivains, de footballeurs, d’idéalistes pas encore guéris ou inguérissables malgré la centaine de millions de morts sacrifiés sur l’autel du communisme au XXe siècle après J-C. « Le dernier grand tyran du XXe siècle est mort », c’est ce qui aurait dû être marqué sur tous les murs du monde libre. Au lieu de cela, aux hommages de Kim-Jong-un (Fidel Castro a été « un ami vrai et loyal »), de Poutine (Fidel « était un ami sincère et dévoué de la Russie »), de Xi Jinping (« le camarade Castro vivra éternellement »), se sont ajoutés ceux d’Obama (« l’Histoire va juger son énorme impact »), de Jean-Claude Juncker (« le monde a perdu un homme qui était un héros pour un grand nombre de gens »), ou de Justin Trudeau (« les Canadiens s’associent au peuple cubain dans son deuil après la mort d’un leader remarquable »). La gauche française a appelé les parisiens samedi soir à un meeting de deuil et de recueillement. […]

Voilà comment se rassemblent tous ceux dont la fièvre et le fanatisme ont été nourris par Castro, et qui en échange, ont entretenu la légende du révolutionnaire romantique assoiffé de liberté! Ils oublient, bien sûr, le gouffre qui sépare le romantisme révolutionnaire au nom duquel on choisissait d’aller n’importe où dans le monde pour mourir en défendant la cause de la liberté (le cas de Byron), de celui du XXe siècle au nom duquel on va tuer quelques milliers de citoyens, pour ensuite rester au pouvoir un demi-siècle et transformer le pays en une vaste prison. Quelles époques romantiques que celles de Lénine, Staline, Mao, Pol Pot! La réalité la plus atroce n’a pu abolir l’idéal, lequel a survécu et survit à toutes les montagnes de cadavres. […]

Quel terrible sophisme justifiant des crimes que « les bienfaits » du tyran ! Castro, disait Justin Trudeau dans son hommage du samedi dernier, a mis au point un remarquable système d’éducation et un tout aussi remarquable système de santé. Ban Ki-moon insiste sur les mêmes performances : « Sous la présidence de Castro, Cuba a fait des progrès importants dans les domaines de l’éducation, de l’alphabétisation et de la santé ». On se demande quelle éducation quand tout n’est qu’idéologie et culte de la personnalité, et quel système de santé dans un pays complètement pauvre. Comme observe un internaute : Et si on disait qu’Hitler a fait des usines et des autoroutes ? Quelle importance s’il a son actif les camps de la mort ? […]

J’inviterais tous les admirateurs de ces criminels bienfaiteurs à se mettre, pour une seconde, à la place de ceux qui ont été tués ou torturés du fait de la gesticulation révolutionnaire de leur idole (mais je sais bien qu’ils manquent d’imagination empathique). Se mettre à la place de tous ceux qui ont passé des dizaines d’années en prison, de leurs familles détruites, de ceux qui ont vécu leur vie (49 ans!) sous l’arbitrage d’un fanatique vaniteux. J’inviterais d'abord Maradona (celui qui s’est fait tatouer le visage de Castro sur la jambe) et le prix Nobel Garcia Marquez à se livrer à cet exercice d’imagination: goûter quotidiennement la douceur de vivre sous « le héros légendaire », sous « ce leader plus grand que la vie » (« Fidel Castro was a larger than life leader who served his people for almost half a century »), « un révolutionnaire et un orateur exemplaire », comme le présentait le premier ministre canadien. J’imagine Trudeau enfermé dans une pièce et obligé à écouter sur un CD pendant 7 heures l’un des discours mémorables de Castro. Pourquoi tous ces fans ne crient-ils pas leur enthousiasme du fond de l’une des fosses communes que l’Histoire met au jour périodiquement et qui témoignent du règne de leurs idoles? Ils ont applaudi leur héro (et maintenant ils le pleurent) du cœur du 6 e arrondissement parisien, ou de la rédaction confortable de l’un des journaux « progressistes » du monde. Il est étrange de voir dans toutes ces oraisons funèbres comment les grands criminels du monde, une fois qu’ils ont quitté l’espace quotidien pour entrer dans celui de l’Histoire, cessent d’être « des criminels ordinaires ». Ils deviennent des héros. Ils ne tuent pas n’importe comment mais au nom d’un idéal et d’une idéologie. Et quand on a un idéal et une idéologie, on peut tuer autant que l’on veut. On peut être décoré et, sûrement, avoir sa statue. C’est ainsi que nous avons les criminels-héros du XXe siècle. Car c’est exactement cela, le XXe siècle que nous venons de laisser derrière nous est le siècle des criminels-héros. Castro est le dernier. […]

Dans le livre intitulé « Une idée qui nous fait tourner la tête », HRP écrit :

« En invoquant le caractère prétendument modernisateur du communisme ou de ses idées prétendument généreuses, ou d’un supposé bilan positif de ses réalisations sociales, un grand nombre de progressistes, peut-être animés de bonnes intentions, préfèrent oublier que les régimes communistes ont tué cent millions de gens, en l’espace de deux générations : cela reviendrait à 450 personnes par jour, à savoir 190 morts par heure, à savoir 3 personnes réduites à l’état de cadavre chaque minute –et pas qu’une fois, mais minute par minute, heure par heure, jour par jour, pendant 60 ans sans interruption. Pouvez-vous imaginer une aussi monstrueuse montagne de cadavres ? Certains progressistes, il faut le reconnaître, ne peuvent nier l’existence de cette montagne de cadavres. Néanmoins, s’ils souffrent du même aveuglement moral, ils ont tendance à soutenir que, quand même -et ce « quand même »  me glace – les victimes du communisme sont ces victimes collatérales d’une modernisation nécessaire qui autrement, vu le niveau arriéré des sociétés pré-communistes, n’aurait pas pu être accomplie. C’est-à-dire, cent millions de victimes afin que le PIB augmente de quelques chiffres: des victimes collatérales et non intentionnelles mais nécessaires à ce progrès. Il faut rejeter cette vision comme étant moralement inacceptable. »

 
 

01/02/2015

Rêves et idéologies

syriza,grèce,russie,programme,austérité,dictature ( Photo web: Extreme Ultaviolet Image of a Significant Solar Flare

 

En lisant la presse roumaine, j'ai retenu deux articles, que je vais résumer ici. Le conseiller du président Poutine (qui ressemble à.. Raspoutine) s'est exprimé dans l'interview accordée à un site hongrois sur la nécessité d'un empire Euro-asiatique dominé par la Russie, et qui inclurait la Roumanie, la Hongrie, la Serbie, la Slovaquie, l'Autriche. En anticipant la fin des Etats nations, le conseiller en question a précisé qu'un tel empire pourrait contrecarrer "l'influence de l'Occident nihiliste" (un son de cloche plutôt familier dernièrement..). Il a parlé d'un nouvel ordre mondial "bipolaire", d'une part les USA et l'Europe occidentale dirigée par l'Allemagne, et d'autre part l'Union Euro-asiatique, dominée par la Russie. D'après lui, la formation nationaliste hongroise Jobbik a une doctrine réaliste, car dans un monde globalisé il faut que les identités culturelles des individus soient défendues. Le traité concernant la création de l'UEE (l'Union économique Euro-asiatique) est entré en vigueur le 1er janvier 2015, et pour le moment, ses membres sont la Russie, l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan. Histoire à suivre..

Si je préfère le point de vue de l'article Adieu, les vacances en Grèce! Ses frontières seront fermées par Poutine et ses petits hommes verts, c'est parce que cela change un peu de l'enthousiasme médiatisé des politiques d'extrême gauche, ou du fade langage diplomatique des derniers jours.

 

Par son idéal assumé sans complexes, celui de tromper les citoyens et les créditeurs du pays, mais aussi par son but pragmatique -se rapprocher le plus possible de la Russie de Poutine-, Syriza et ses dirigeants populistes promettent de troubler les eaux de la Méditerranée, et aussi celles de la Mer Noire. Pratiquement, ce qui vient de se passer en Grèce montre comment un pays peut se diriger vers son propre effondrement, et comment il va devenir un danger pour les autres Etats de tout un continent.

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