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09/09/2022

L'Histoire

Il existe des événements de l’Histoire, comme celui que nous vivons ces jours-ci - la disparition de l’extraordinaire Reine des Britanniques -, lesquels vous renvoient à votre malheureuse appartenance. Et l’écart apparaît de nouveau comme énorme. La Reine Elisabeth II a été couronnée la même année où Staline est mort. Nous étions déjà sous un régime soviétique, et le Roi Michel avait été contraint d’abdiquer et de s’exiler. Il a tenté de revenir après la Chute du Mur. Mais c’était sans connaître la mesure exacte de "l’œuvre" du communisme et de sa Police politique (la Securitate) dans un pays qui avait déjà un important retard historique, et que la Monarchie avait transformé en Etat moderne, tant bien que mal.
 
Je retrouve ces quelques lignes dans le texte que j’ai écrit entre septembre 1990-septembre 1991:
 
« Pour que le cirque soit complet, le gouvernement roumain vient d’expulser grossièrement le Roi, arrivé le premier jour de Noël. La télévision, fidèle à son "objectivité", a agité l’image d’une monarchie-épouvantail, et, dans un chœur offensé, la majorité écrasante du parlement, la presse du Front, les commères hystérisées, les vieilles communistes et les gens de bien ont protesté contre la présence fulgurante du souverain ».
 
Trente-deux ans après, certains se demandent si la Roumanie pourrait être différente de ce qu’elle est…Non, elle ne pourrait pas, "l'oeuvre" du communisme et de la Securitate s’est transmise aux générations qui ont suivi, telle une modification génétique dont on ne se rend même pas compte. Et d’ailleurs, ce qui reste de la Maison Royale est bien autre chose aussi.

03/09/2022

Adieu, Camarade Gorbatchev!

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(Chicago -Photo crédit Claudiu Nedelea)

De nombreux commentaires, dans tous les médias du monde, rappellent le rôle joué par le leader soviétique dans l’Histoire des années 1980 à 1991: la tentative de réformer le communisme, la fin du Rideau de Fer, la dislocation de l’URSS. Si, en arrivant au pouvoir, Mikhaïl Gorbatchev croyait que le système pouvait être modernisé, et que le Parti était son allié, il a dû se rendre à l’évidence que cela n’était pas vraiment possible. Tous ceux qui ont connu le communisme savent que c’est un dogme idéologique, et que toute ouverture est vouée à l’échec. On y reste, comme dans une religion. Pour en sortir, on émigre. Ou on le casse complètement. Regardez les derniers vestiges, Cuba, la Corée du Nord, le Venezuela, comme ils sont prospères et respectent les droits de l'homme. Ou bien la Russie aujourd'hui...

Il y a trente ans, à l’arrivée en France, j’ai eu l’occasion d’entendre l’opinion assez courante (et ahurissante pour moi) selon laquelle le communisme était bon en soi, mais qu’il avait été mal appliqué… Je ne veux pas penser à la décennie 1980, en Roumanie. Elle a été tellement horrible, que la perestroïka et le glasnost du "grand frère" de l’Est nous paraissaient une fenêtre vers l’Occident. Bien sûr, un leurre. Je vais donc me limiter à choisir quelques extraits d’un texte personnel, écrit entre septembre 1990-septembre 1991, et que je ne relis pas souvent. Il figure sur le blog, avec la mention à la fin: Tous les droits concernant ce texte appartiennent à son auteur.

« Un ciel gris d’octobre, le vent qui me donne toujours des maux de tête, et les feuilles qui font des tourbillons moqueurs devant mes pieds, quand, après six heures de classe, je rentre à la maison. Il n’est pas question de monter dans l’un des rares bus archipleins, dont les portes ne ferment jamais.

Je descends lentement le boulevard, à l’entrée d’une crèmerie on fait de nouveau la queue, c’est sans doute pour du fromage ; en face du magasin, près de chez moi, une autre foule attend des chaussures. Je suis si fatiguée que, même si l’on vendait du papier de toilette ou des allumettes, je ne pourrais plus rester debout encore une heure ou deux. Heureusement, D est rentré avant moi, et il est déjà en train de faire griller quelques tranches de poisson, je n’ai pas cuisiné hier, la semaine vient de commencer et C va déjeuner chez maman, ce n’est que le dîner qui sera de nouveau un problème. On mange pour manger, on entasse les assiettes dans l’évier, il n’y a pas d’eau. Lui, il va se coucher, il a passé dix-sept heures à attendre les citernes à essence, il est parti à trois heures du matin et il est rentré à dix heures du soir, il a tenu ses cours cependant et a mangé un morceau chez un copain qui habite près de la station-service. Je n’ai pas trouvé pour C de papier de couleur, ni de cahiers, je n’ai pas trouvé de détergents, de serviettes, de sel, d’eau minérale, d’ampoules électriques, de coton. Je décide de ne plus rien chercher, de me passer de tout ou de m’ingénier à essayer des remplaçants primitifs, comme dans une robinsonnade absurde. Des magasins vides, des immeubles de mauvais goût, qui ne sont que des abris, des odeurs pestilentielles se dégageant des poubelles trop pleines ou oubliées, des gens mal lavés et mal habillés, aux visages idiots ou déprimés, l’image d’une misère qui tarit  les sources mêmes de l’existence…Alors, une question enfantine, horrible et tragique, se glisse dans ma tête : "et si l’on vendait ce pays ? Il n’y a plus rien à faire."

« Je viens de regarder un film français sur la télévision roumaine et sur la manière dont elle a reflété les événements de cette année. Il est bien possible que les Français aient saisi, à travers la subtilité de ce ciné-vérité, le gros mensonge, mais moi, à part un sentiment de ridicule amer, je me suis sentie frustrée dans l’attente de voir, une fois pour toutes, la réalité de ce printemps, surprise objectivement par un étranger et dévoilée à nos gens perfidement trompés et déroutés. A un moment donné je me suis dit que les nôtres avaient peut-être mutilé la cassette, dans leur style bien connu, puisqu'il en avait résulté une image curieusement favorable au pouvoir actuel, ce qui, après tout, devenait même comique…[ il s’agit du documentaire de Serge Moati]

« La situation est de nouveau explosive en cette fin de décembre qui a accumulé toute la tension de l’énorme tromperie, du mensonge presque grotesque mimant le langage de la démocratie. On sort dans les rues, on déclenche des grèves, les étudiants restent l’unique espoir, mais certains finissent par se laisser intimider. Le pays est devenu l’empire de la haine, de la corruption, de la délation, il est scindé. Dieu seul pourrait faire un miracle et éclairer l’âme et la raison de tant d’abrutis qui soutiennent, par une soumission et par une patience devenue leur seconde nature, cette nouvelle nomenklatura qui, en pur style soviétique, une fois au pouvoir, ne cède devant aucun argument. (…) J’ai envie de vomir à chaque fois que j’allume la télévision. La galerie zoo des parlementaires, la démagogie lamentable du pouvoir qui manigance pour faire croire que nous sommes libres et qu’ils sont les meilleurs, les irremplaçables, et que les autres sont des fascistes qui déstabilisent…(…) Avant, je n’aurais jamais soupçonné qu’un si grand nombre de gens étaient atteints par le cancer du communisme. Ils peuvent très bien remplir quelques classes : les anciennes et les actuelles grosses légumes, ensuite ceux qui pendant des années ont triché, volé ce qu’ils ont pu, les débrouillards, les incompétents qui redoutent un système compétitif, les vieux, effrayés par la perspective de tout renversement, et, à la fin, ceux qui vivent comme des bêtes, qui n’imaginent même pas que la vie pourrait être humaine et civilisée. Il est vraiment désespérant, tragique, de constater que la conscience et l’âme ont été horriblement mutilées. (…) C’est la semaine du 16-23 décembre, la ville de Timisoara est une protestation violente, les démonstrations et les appels désespérés à la grève générale se heurtent au mépris, au cynisme et aux menaces affichées par l’équipe solidement ancrée des officiels, qui jouent une comédie effrontée. Je refuse d’être femme, mère, épouse, professeur, citoyenne roumaine, née Roumaine, je voudrais être un petit cafard noir, dans un trou noir. Ne le suis-je pas ? »

« Mon voyage recommence, mais le chemin inverse rapetisse toutes les dimensions autour de moi. Je ne retrouve plus l’éclat qui m’avait éblouie, il y a un mois, et Stuttgart est un endroit familier, où je me débrouille avec aisance. Après avoir téléphoné à A, j’achète Romania Libera et juste comme à ma première descente, je sens les larmes glisser et la même révolte m'écoeurer. Rien n’avait changé là-bas, au contraire, tout a empiré. Mais, dans le fond, qu’est-ce que j’avais cru? Je passe soixante-douze heures assise ou debout, sans pouvoir m’allonger un peu dans une couchette, en regardant mes pauvres pieds enflés, serrés dans des espadrilles. J’arrive avec un retard symétrique de cinq heures dans la gare de Bucarest, qui, avec ses tubes de néon aveugles, paraît le comble de la misère. J’avais réussi à appeler de Prague, D m’attend, heureux de me revoir mais déçu. Vraiment, tu n’aurais pas eu le moyen de rester ? Tu te rends compte qu’ici c’est l’enfer ? Nous passons la nuit à l’hôtel de la gare, où il avait réservé, je raconte comme je peux, avant de sombrer dans un sommeil douloureux, balancée par le branlement du train. A cinq heures du matin, l’appel de la réception nous réveille, comme convenu. Les yeux fermés, je décroche dans un geste réflexe et remercie en français. J’allume, et c’est à peine au moment où je vois la chambre minable et le cafard noir, surpris sur le mur d’en face, que j’ai le choc du retour. »

26/07/2022

"Les perroquets n'ont jamais honte"

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(Mes photos- Résilience. A Charleston, Caroline du Sud, en juillet 2016)

 

Nous assistons en Roumanie à une tentative sournoise de réhabilitation de la Securitate (la colonne vertébrale du totalitarisme communiste), et aussi du rôle des Services. Pour un bon nombre de Roumains, vivre dans un régime totalitaire a été une expérience traumatisante. Pour d’autres, pas spécialement. Ils ont collaboré en vrais patriotes. Et c’est justement sur cette corde sensible touchant à l’appartenance et à l’identité (nationale, religieuse) que joue de nouveau le patriotisme. Après un traumatisme, de quelque nature que ce soit, le temps pour vivre sa peine ou sa colère, pour l’exprimer, est important. Si nous tournons la page rapidement, des sentiments feront surface plus tard et se transformeront en maladie ou en dépression. Le déni qui permet de ne pas souffrir, écrit Boris Cyrulnik (Mourir de dire. La honte, Editions Odile Jacob, 2010), n’est jamais un facteur de résilience, puisque le blessé ne peut rien faire de sa blessure. Ce qui se passe maintenant en Roumanie est une forme de déni. Les générations passent, on compte sur l’oubli, mais surtout sur la réécriture perverse de l’histoire et la manipulation des émotions.

Il y a plusieurs voies pour s’en sortir après une expérience traumatisante. Je peux me soumettre aux impératifs du groupe, afin de devenir anormalement normal, comme tout le monde, un clone culturel archi-convenable. Une pensée consensuelle, un « oubli » de cette étape de la vie, bien que cela soit impossible. Je peux me soumettre à une force suprahumaine, transcendante, où la soumission est une valeur morale qui glorifie ceux qui rentrent dans le rang. C’est la religion qui, après la parenthèse communiste, revient en force, et s’identifie au patriotisme. Juste un autre totalitarisme. Mais je peux aussi prendre une voie individuelle, chercher et trouver au fond de moi des valeurs personnelles acquises au cours de ma propre histoire et découvrir une sorte de mythe intime, « à la carte », qui thématise mon existence, et qui vaut pour moi et pas forcément pour le groupe. Les sociétés totalitaires ont horreur de cette liberté intime, car elle échappe au contrôle du chef. Les totalitarismes, religieux ou profanes, sont révulsés par les mondes intimes où la personne n’a pas besoin du soutien consensuel. Car voilà l’essence du contrat pervers: la solidarité sera grande pour les personnalités ainsi rabotées, puisqu'elles se soumettent à la loi du groupe. « Les perroquets n’ont jamais honte ».   

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, tous les pays ont pris des mesures de sécurité renforcées. L’Occident semble comprendre finalement l’erreur fatale d’avoir cru qu’il pouvait construire avec la Russie une relation basée sur des intérêts économiques communs, et ignorer les leçons de l’Histoire. En Roumanie, il paraît que c’est le calme plat et que la coalition bancale de gouvernement fonctionne. Un article paru dans Revista 22 écrit que ce silence est toxique, car il cache des abus et une corruption qui prolifère. Mais on sait bien, depuis une éternité de minimum trente ans, que l’administration roumaine est le lieu où la mentalité clanique de nos élus et responsables se concrétise le mieux: des époux, des fils, des maîtresses, des parrains, etc. La DNA (la Direction Nationale de la Lutte contre la Corruption) a les ailes coupées, les magistrats réformistes et anti-corruption sont intimidés et menacés d’exclusion. Alors, qui contrôle cette administration incompétente et corrompue, enfin ? Bien entendu, les Services. (Remarquez, ça ne nous change pas énormément par rapport à l’avant ’89). Les responsables politiques roumains, s’ils ne représentent pas eux-mêmes certains groupes d’intérêt des Services, sont bien surveillés afin de ne pas s’éloigner de la ligne générale. Or, poursuit l’article, cela n’est pas une vraie démocratie, mais un simulacre. Cela donne un système consolidé, supervisé par les Services et par les structures militaires que le président apprécie particulièrement. Un président qui est tombé dans le piège antidémocratique, comme son prédécesseur. 

Bon, ce n’est pas vraiment nouveau. Sauf que nous sommes en 2022, pas dans les années '90 ou début 2000. Et que, jusqu'en 2027, la Roumanie recevra 31,5 milliards d’euros non remboursables de l’UE suite au partenariat avec la Commission pour la cohésion économique, sociale et territoriale, la compétitivité, la transition verte et numérique. C’est le 18 e pays européen qui signe ce contrat. Néanmoins, la Roumanie n’est pas comme les autres. Depuis 2007, elle a reçu énormément de fonds, mais elle a été incapable de réaliser des projets. Quand il s’est avéré plus compliqué de détourner ces fonds, ou de les siphonner au travers de montages financiers, elle y a renoncé, et donc ne les a pas absorbés. Là, maintenant, qui pourrait croire qu’une administration aussi « compétente » (parce que, avec le temps, les choses ont empiré, il va de soi) pourra concevoir et mettre en pratique des projets pointus, liés aux défis économiques, sociétaux, technologiques, environnementaux de l’époque actuelle ? Mais on rêve !

04/07/2022

Happy 4th of July (from Nice)!

independence day(Mes photos- La Promenade des Anglais)