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18/03/2024

L'ironie de l'hybris

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(Photo- Mars 2024)

 

Pour Spinoza, le bien et le mal ne se trouvent pas dans la nature et ne sont autre chose que des relations. Il faut donc les ranger parmi les Etres de Raison, et non parmi les Etres Réels, car jamais on ne dit qu’une chose est bonne sinon par rapport à quelque autre qui n’est pas bonne ou ne nous est pas si utile qu’une autre. Tous les objets qui sont dans la Nature sont ou des choses ou des effets. Or le bien et le mal ne sont ni des choses ni des effets. Donc aussi le bien et le mal n’existent pas dans la Nature. Car, si le bien et le mal sont des choses ou des effets, ils doivent avoir leur définition. Mais le bien et le mal, comme, par exemple, la fuite de Pierre et la malice de Judas, n’ont aucune définition en dehors de l’essence de Pierre ou de Judas, car celle-là seule est dans la Nature, et ne peuvent pas être définis indépendamment de l’essence de Pierre ou de Judas. (Court traité, Ed GF Flammarion, 1964)

Nous accomplissons nos actions avec les passions ou sans elles, nous dit Spinoza. Il est sûr que si nous faisons les choses que nous avons à faire sans passion, il n’en peut rien résulter de mauvais. De la haine naît la tristesse et quand la haine est grande elle produit la colère. (…) De cette grande haine sort aussi l’Envie. La Haine et l’Aversion [qui naissent de l’opinion] ont en elles autant d’imperfections que l’Amour, au contraire, a de perfections ; car [l’Amour] produit toujours amélioration, renforcement et accroissement, ce qui est perfection, tandis que la haine au contraire tend toujours à la dévastation, à l’affaiblissement, à l’anéantissement, ce qui est l’imperfection même.

Les passions tristes sont donc la haine, la vengeance, le ressentiment, l’envie, la peur. Les passions joyeuses sont la bienveillance, la compassion, le respect, la sympathie.

Dans la Grèce antique, la démesure, ou l’hybris, est considérée comme un crime. Et tout ce que les Dieux regardent comme hybris dans le comportement des humains (violence, orgueil, arrogance, excès de pouvoir) va appeler leur vengeance, à un moment donné. Le théâtre antique en est l’illustration. Opposées à l’hybris sont la tempérance, la modération, basées sur la connaissance de soi et de ses limites.

C’était juste pour rappeler quelques fondamentaux et pour remarquer, encore une fois, à quel point tout est logique, même si parfois l’aspect nous échappe. Hier, le monde entier a suivi l’événement que certains allaient qualifier d’oxymore, l’élection présidentielle en Russie. Bien sûr, l’issue ne faisait pas de doute, mais on était curieux de voir le score, voir jusqu'où cela pouvait aller. J’aurais parié pour un 90-95%, c'était un peu moins, presque 88%. Sur l’affiche, les trois autres soi-disant candidats, un peu plus de 3%. La population a participé à hauteur de 74%. L’apparence d’une démocratie (autoritaire, comme disent les extrêmes droite et gauche) est sauvée, et cela est un argument qui fait plaisir à ces gens (des politiques ou des lambda) qui se rangent de l’autre côté de la barricade, c’est-à-dire du côté du président "réélu", ou "de la paix"... Un illustre intellectuel expliquait hier soir que dans la tête du président "réélu" il n’y avait rien d’autre que la volonté d’assurer la protection des populations russophones enclavées, et pas du tout le désir d’expansion qu’on lui prête. Comment le savez-vous ? Pourriez-vous parier sur nos vies européennes, surtout nos petites vies européennes de l’Est, que vous ne semblez pas apprécier ? Merci pour cet effort, cher Monsieur, mais votre agacement pour ne pas être interrompu, votre nervosité qui s’est accrue au fur et à mesure de vos interventions depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, ainsi que vos tics, montrent que vous doutez quelque part. Car tout ne se réduit pas aux idées, aussi brillantes soient-elles. Il y a ce sacré inconscient… Le président "réélu" est là pour encore six ans, avec l’intention d’être là à vie. Cela s’est déjà vu dans l’Histoire. En règle générale, les dictateurs finissent de la même façon, pitoyable ou grotesque. Quand ils ne sont pas fusillés, comme Ceausescu, par le système qu’ils ont eux-mêmes mis en place, ils peuvent tomber foudroyés par un AVC, comme Staline. C’est ce que j’appelle l’ironie de l’hybris, et c’est le travail de l’inconscient.

Il semble que nous n’ayons que deux solutions: espérer que l’ironie de l’hybris se manifestera le plus tôt possible ou accepter la défaite (en tenant compte de la variable Trump).

15/10/2014

Vertige et nausée

roumanie, présidentielle, services secrets, soviétisation, livre Anne Applebaum

Update 19.J'aimerais apporter une précision, après avoir lu qu'en ce moment, c'est une autre Roumanie qui est en train d'émerger, pour la première fois depuis 25 ans. Une nouvelle Roumanie, dans laquelle la coopération entre une partie des autorités avec les partenaires stratégiques en matière de justice et contre-espionnage commence à fonctionner, en vue d'un renforcement de l'Etat de droit, une voie cohérente et une perspective décente. Cela me paraît très limpide.. Je comprends que nous devons "cette nouvelle Roumanie" au partenariat stratégique ("on" nous a fait entrer dans l'UE et dans l'OTAN), plutôt qu'à un sursaut de la conscience civique nationale. Il vaudrait mieux que les journalistes emploient des propos moins triomphalistes sur la justice roumaine, lorsqu'on sait que plus de 70% des ex-officiers de la Securitate avaient intégré les structures de la magistrature, quand même.. A la fin d'une note écrite en 2009, je reproduisais les paroles de l'écrivain Herta Müller, Allemande d'origine roumaine, prix Nobel de littérature. Elles sont d'une poignante vérité. Dans ma recherche sur l'Ethos, du temps où je préparais ma Thèse, j'avais trouvé un texte apocryphe, ambigu car poétique, que j'affectionne toujours particulièrement: "Lorsque ce que vous possédez en vous vient de vous-mêmes, cela vous sauvera; si vous n'avez pas cela en vous, que vous ne l'avez pas de vous-mêmes, cela vous fera mourir." 

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Ce matin, j'ai pris quelques minutes pour écouter sur France Culture la journaliste et historienne Anne Applebaum, prix Pulitzer 2004, éditorialiste au Washington Post, spécialiste de l'ex-URSS, auteur d'un livre qui vient de sortir. Elle y analyse la soviétisation de l'Europe de l'est entre 1944-1956, en s'arrêtant à trois pays, l'Allemagne, la Hongrie, la Pologne. La notice de présentation sur le site de la radio précise que "ce livre est dédié par son auteur aux européens de l'est qui ont refusé de vivre dans le mensonge", et finit par la question rhétorique: "une dédicace à conjuguer aussi au présent?". J'ai pris l'émission en route, là où la journaliste faisait référence aux aspects du totalitarisme soviétique en Pologne et en Hongrie jusqu'en '56, au mouvement de la Résistance, et à l'après '56, quand les vraies valeurs sont revenues. Ce sont celles qui ont résisté après 1989, a-t-elle souligné, en remarquant aussi que les partis des autres pays de l'est avaient évolué différemment.

Ce qui m'a fait réfléchir à la Roumanie, où je ne vois pas quelles vraies valeurs seraient revenues après '56. C'est le pays où le totalitarisme soviétique a trouvé une prise presque définitive: peu d'opposition, un terrain fait de passivité et surtout d'opportunisme, idéal pour encourager la délation, et pour faire administrer la peur et la méfiance. L'histoire d'avant, je la connais indirectement, par des témoignages de ma famille, celle d'après, directement.. Aujourd'hui, en Roumanie, il me semble évident qu'il n'existe pas de réelle rupture avec cette époque-là, mais une solide continuation de fond, et qui, de temps en temps, apparaît au grand jour. Une fois de plus, on constate que ce pays est dirigé par les Services - non pas défendu, ce qui ne serait que leur rôle, mais dirigé, dans l'acception la plus politique du terme. Ce qui se passe maintenant, à quelques jours de la présidentielle, me donne le vertige et la nausée. Le premier-ministre candidat qui aurait été un agent infiltré quand il était magistrat (ce qui est anticonstitutionnel), le commandant (en activité) des Services Externes qui démissionne pour se porter candidat.. A-t-on vu ça ailleurs, sauf dans la Russie de Poutine? Les autres patriotes qui se présentent sont ejusdem farinae.

Néanmoins, comme depuis plus de vingt ans, j'exercerai mon droit de vote dans l'une des nombreuses sections de la diaspora. Occasion de plus pour me rappeler que la diaspora roumaine continue à grossir ses rangs. Une diaspora qui, évidemment, peut être divisée, infiltrée, intéressée, manipulée..Personnellement, j'ai fait dès le début le choix de ne pas la fréquenter (ce que je conseille à mon fils, là où il vit), et cette méfiance est justifiée, je la dois à la connaissance directe que j'ai de notre histoire, et au présent.