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09/01/2006

"Bobby G."

J'ai eu pour Noël une autre jolie surprise de la part des enfants et des collègues de l'école où j'avais travaillé jusqu'en Novembre dernier, à part les fleurs, les dessins et les chocolats: trois cartes cadeaux, avec lesquelles j'ai choisi à la Fnac un balladeur CD MP3 (le MP3, c'est pour le jour où j'aurai un ordinateur), et un lecteur DVD (je n'avais qu'un magnétoscope). Ma vie a ainsi enregistré une nette amélioration: je peux voir des films en VO, sous-titrés en français, et donc j'entends de l'anglais. Cela tombe bien aussi parce que le nombre de chaînes de télévision que je reçois (6, en fait), se réduit à chaque fois que des voisins se font installer le câble et touchent à l'antenne collective sur le toit...
J'ai trouvé à la médiathèque "Bobby G." en DVD, et je l'ai emprunté pour le week-end. C'est un petit polar noir, Prix du meilleur film et du meilleur réalisateur au Festival de Los Angeles en 1999, et sélectionné pour le Festival de Cognac en 2000. L'atmosphère rappelle celle des romans de Chandler ou de Chase. Naturellement, j'ai aimé. Mais ce qui est bien avec les DVD, c'est l'interactivité: entretiens, réactions dans la presse, récompenses. J'ai appris comment le film avait été fait, juste avec un script et un camescope qui filmait les mêmes rues dans New York sous des angles astucieusement choisis, ou comment le réalisateur avait réussi à trouver l'argent nécessaire pour la distribution du film...
Des réussites dans ce genre, typiquement américaines, consistant à faire quelque chose de valable avec trois fois rien, c'est-à-dire avec quelques idées et de l'enthousiasme, plus un brin de chance et une bonne rencontre, sont très indiquées pour mon moral actuel. A la fin du DVD, j'étais même optimiste, en pensant que mon projet devra voir certainement le jour.
"Kaamelott" sur M6, (série qui me détend), en a rajouté à ma bonne humeur: "Se battre sans l'expérience des armes est preuve de grand courage". Et comment!

16/02/2005

La diplomatie a des raisons que la raison...

J'ai deux souvenirs roumains sur François Mitterrand.
Le premier date de 1981, quand il venait d'être élu Président. Ce jour-là, au cours d'une discussion entre collègues, pendant la pause, quelqu'un a fait remarquer qu'en France les socialistes l'avaient emporté dans les élections, à quoi j'ai répliqué: "Oui, mais leur socialisme n'est sans doute pas comme le nôtre". Le lendemain, la secrétaire du Parti de l'école, une bonne collègue, d'ailleurs, me dit confidentiellement: "Carmen, on m'a convoquée au Comité départemental du Parti, il paraît que tu as affirmé que..." Tout fonctionnait comme ça. Parfois, certains activistes avaient le sens de l'humour et comprenaient qu'il nous fallait jouer le jeu ensemble. Ma mère, professeur de maths dans un collège avait exprimé (toujours pendant la pause) son inquiétude au sujet des dernières augmentations du prix de la viande. Le lendemain, on la convoque au siège du Parti: "Camarade S., vous avez fait des commentaires sur les augmentations...". "Mais non, cela m'étonnerait, camarade Secrétaire, je suis très prudente...". Le camarade a ri et l'a laissée tranquille, ce fut pendant des années l'anecdote de la famille (presque tous ceux qui étions dans l'enseignement étions membres du Parti ("le centre vital de la nation"), cela allait de soi, car comment concevoir que nous pouvions dispenser des connaissances aux élèves sans avoir atteint le niveau de conscience requis?!!!).

Le deuxième souvenir concernant François Mitterrand date du tout début des années '90, lors de sa visite en Roumanie, juste après les événements qui ont marqué la chute du mur. A l'Université de Iasi, les étudiants l'ont accueilli avec une hostilité véhémente et des tomates, c'était le premier chef d'Etat qui venait ainsi cautionner la nouvelle équipe en place, le gouvernement de Iliescu et de Petre Roman (si adulé en France...), à savoir la nomenklatura de deuxième rang.
Bien sûr, après, la révolte s'est émoussée, la diplomatie a pris le dessus. Plus récemment, par exemple, l'ex-Premier Ministre roumain était Chargé de cours à la Sorbonne et je ne sais quelle revue française lui accordait, il y a deux ou trois ans, le titre du meilleur homme politique, quelque chose de ce genre...
Voici ce que j'écrivais dans "Nice, mon amour...?", à propos de ces années-là. Entre autres, j'ai aujourd'hui en France l'occasion d'entendre le réalisateur du documentaire en question sur Arte TV, dans l'émission Ripostes...


Je viens de regarder un film français sur la télévision roumaine et sur la manière dont elle avait reflété les événements de cette année. Il est bien possible que les Français aient saisi, à travers la subtilité de ce ciné-vérité, le gros mensonge, mais moi, à part un sentiment de ridicule amer, je me suis sentie frustrée dans l'attente de voir, une fois pour toutes, la réalité de ce printemps, surprise objectivement par un étranger et dévoilée à nos gens perfidement trompés et déroutés.
A un moment donné, je me suis dit que les nôtres avaient peut-être mutilé la cassette, dans leur style bien connu, puisqu'il en avait résulté une image curieusement favorable au pouvoir actuel, ce qui après tout, devenait même comique. Cette déception m'avait rappelé la constatation banale et triste d'un collègue:" personne n'est honnête, quant à la justice, elle n'existe pas, et cela ni chez nous, ni ailleurs".



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Carmen Lopez
serghie_carmen@yahoo.com

16/12/2004

Les vraies prisons

Vous pouvez vivre dans "le meilleur des mondes possibles" et être en prison. Ce n'est pas parce que vous pouvez vous promener au bord de la Méditerranée au lieu de vous promener sur la falaise qui longe le Danube, dans une ville à 2000 Km plus loin, que vous êtes libres. Vous êtes en prison quand vous ne pouvez pas prendre un vol et aller à l'enterrement de votre père, ou quelques années plus tard, prendre un vol pour aller assister au marriage de votre fils. Vous êtes en prison quand vous travaillez uniquement pour payer votre abri et participer par votre infime consommation au circuit économique de ce monde organisé. Vous êtes en prison surtout quand vous devez prier qu'aucune vitre ne se casse ou qu'aucun imprévu domestique (robinet, électricité, etc) ne survienne. Vous devez aussi être vigilants avec les cafards ( vous avez choisi une grande ville...).
Mais vous avez la liberté de vous mettre (dans votre tête, maintenant) la cassette de ce film (américain, bien sûr) qui raconte un belle histoire d'espoir. C'est un détenu qui, à un moment donné est choisi pour aider au service financier de la prison et qui arrive à se forger une identité à l'extérieur (un nouveau nom, une carte de sécurité, un compte bancaire alimenté) et qui fait une évasion réussie au bon moment. La dernière séquence du film le montre en face de l'océan, admirant le lever du soleil.
Tant que vous pouvez encore remettre cette cassette dans votre tête, avec le même sentiment que tout est possible, vous avez gardé intacte une marge de liberté. C'est le cadeau de Noël dont vous vous gratifiez vous-même.
Carmen Lopez
serghie_carmen@yahoo.com
http://elargissement-ro.hautetfort.com

13/04/2004

Sujets actuels/Réflexions sur un événement artistique

Le 31 mars 2004 (Sur "La Passion du Christ")
 
Eh bien, je l'ai vu.
J'ai écouté et j'ai lu beaucoup de points de vue, il y a eu des débats à la télévision, le film a été très controversé, et c'est aussi pour cela que j'étais curieuse de le voir.
Comme je ne suis pas influençable, et comme j'essaye toujours de réfléchir et de faire la part des choses, j'ai eu mon point de vue, que je n'ai pas retrouvé chez les autres, en fait une seule personne me semble avoir eu une attitude intelligente à l'égard de ce film, et c'est le Pape. Je n'aime pas particulièrement le Pape et je ne suis pas d'accord avec toutes ses positions, mais il a dit, après avoir vu le film, qu'il ne pouvait pas se prononcer sur un produit artistique et qu'il laissait cela aux spécialistes. C'est aussi diplomatique que vrai, j'avais exprimé un point de vue assez proche dans l'e-mail envoyé à "Newsweek", à l'occasion de la sortie du film.
 
Le film est très bien fait, techniquement parlant, prises de vues, angles de la caméra, couleurs, flash-back, images au ralenti, tout, jusqu'au millimètre, il est très professionnel, travail américain... Je me suis délectée en entendant l'araméen que je n'avais jamais entendu, et aussi le latin prononcé comme j'avais appris à l'école en Roumanie, et non comme j'avais entendu en France (l'accent, je veux dire, c'est l'accent tonique, proche de l'italien d'aujourd'hui).
 
Ceux qui ont parlé de ce film en l'accusant et en le récupérant d'un bord ou de l'autre, l'ont vu au  premier degré (sciemment ou pas).
On ne peut pas dire qu'il soit antisémite parce que les Juifs sont peints en noir et que les Romains sont gentils, pas du tout. Mel Gibson a mis là-dedans de sa violence personnelle, car ils sont tous odieux avec Jésus (sauf Pilate, qui apparaît comme un personnage assez existentiel, préoccupé par ce qu'est la vérité, etc.). Les scènes de torture occupent tout le film, je ne pouvais pas vraiment regarder (j'essayais de noter des idées sur un bout de papier entre temps), c'est ce qu'on a reproché à Mel Gibson,"la boucherie". Mais c'est son choix artistique pour transmettre une vision de la souffrance de Jésus. Il y a vingt ans, Zeffirelli avait vu les choses plus classiquement, plus en douceur.
 
C'est le jeu des acteurs qui est magnifique, ils ne parlent pas beaucoup, ce qu'ils disent c'est exactement comme dans les Evangiles (que Gibson respecte à la lettre), mais tout est dans l'expression du visage, tous les sentiments, les questions, les révélations, tout se passe sur les visages des acteurs, et c'est du professionnalisme de très haut niveau.
Le rapport entre Jésus et Marie, sa mère, est surpris avec finesse, une complicité spirituelle qui vient du fait que tous deux savent quel est l'enjeu et ils s'entendent par leur regards (l'actrice qui joue Marie est Maia Morgenstern, une juive roumaine qui joue dans un théâtre à Bucarest, elle a 48 ans et elle est mère de trois enfants; j'avais lu une interview qu'elle avait donnée où elle expliquait que ce rôle lui avait permis d'exprimer la souffrance de toute mère qui voit la souffrance de son fils).

Mais ce que j'ai trouvé de plus intéressant, c'était la présence de Satan, représenté par une femme étrange qui apparaît à chaque fois dans les moments d'intensité du "choix", quand l'âme est prête à basculer, à cause de la souffrance physique qui est atroce. C'est la trouvaille de Gibson, en fait, c'est assez didactique, puisque le Mal est représenté de manière très concrète. Il ne fait que renforcer la résistance de Jésus, qui le regarde et sent fortement cette présence qui le guette et qui attend le moment où son âme va fléchir dans la décision prise.
C'est pareil en ce qui concerne les autres, Judas, par exemple, c'est Satan qui fait le travail jusqu'à la fin, en le rendant fou, jusqu'au suicide. En général, on perçoit bien (enfin, moi je l'ai perçu ainsi), justement à cause de la présence de Satan, que tous ont l'esprit obscurci à un moment donné, le temps de leur acharnement (gratuit) contre Jésus et qu'à la fin ils se réveillent, comme d'un cauchemar -Jésus est mort, sur la croix, et une goutte qui tombe du ciel provoque sur la terre un tremblement, etc. Sous l'effet de cette manifestation soudaine et inexplicable de la nature, tous ceux qui ont contribué aux tortures de Jésus, et aussi les grands prêtres qui l'ont accusé et qui ont assisté à ses dernières minutes, semblent se réveiller brusquement. Comme quelqu'un qui commet un crime dans un moment d'absence et ne se rappelle plus ce qu'il a fait, et en est horrifié lui-même.
Là, j'ai trouvé que Gibson avait fait preuve de finesse, ou qu'il avait été inspiré (c'est la même chose, parfois), car il semble vouloir dire que ces gens-là ont été aveuglés dans leur esprit pour qu'ils ne voient pas et parce que quelque chose devait se passer ainsi.
 

Je crois que ce qui est bien suggéré dans le film, c'est la question du choix individuel (l'acceptation de Jésus ne se fait pas dans la joie, ni facilement) mais aussi l'existence de deux plans, la volonté de l'homme et une autre volonté, divine, mystérieuse, qui le dépasse. Tout se joue sur cette marge-là et c'est surtout la première scène, celle dans le Jardin où Jésus comprend ce qu'il lui est demandé d'en haut. C'est la scène la plus réussie, d'après moi. Elle évoque aussi l'angoisse existentielle de tout homme devant la mort, mais devant une mort qu'il voit, qui lui est décrite dans ses détails atroces et pour laquelle on lui dit qu'il y a un prix -il peut accepter ou refuser. Et il ne peut pas refuser. Pourquoi? Mais c'est l'Eglise qui se charge, depuis deux mille ans de répondre à la question, avec plus ou moins de succès..
 
Le choix reste un éternel mystère.
Il y a dans le film une phrase qui n'est pas dans les évangiles, mais qui appartient à l'inspiration que Gibson a dû recevoir sur le tournage (il dit lui-même qu'il porte le projet de ce film depuis douze ans, juste à l'époque où j'avais choisi, moi aussi, le sujet de ma thèse...). Dans la scène de la flagellation, Marie, agenouillée devant Jésus torturé et en sang, lui dit :"Mon Fils, quand, où et comment décideras-tu d'être délivré de cela?"
La question de Marie est très intéressante à analyser, on peut prendre tour à tour chaque mot et voir ce qu'il y a dedans, pour accéder au sens du message. Je n'arrive pas à me détacher de cette phrase, peut-être que c'est bien pour elle que je suis allée voir le film, car les extraits des évangiles, je les connais.

Ce que j'ai donc retenu du film, c'est le problème du choix de Jésus. Gibson s'est arrêté aux dernières heures de la vie de Jésus, on ne voit pas Jésus en train de prêcher (sauf quelques flash-back), il n'y a pas de discours sur l'amour qui soit privilégié (sauf quelques références absolument obligatoires, et qui se situent dans la cohérence du récit). Là, on voit un homme dans les conséquences d'un choix auquel il est confronté et qui le dépasse, parce que l'on sent qu'il est agi par une force autre que sa résistance humaine, et je pense que le mérite du réalisateur est d'avoir réussi à suggérer cette nuance (enfin, moi j'y ai été sensible).
En fait, si Gibson avait choisi un tout autre guerrier ou héros pour illustrer la problématique du Bien et du Mal, il n'aurait suscité aucune polémique, et son film aurait été un film parmi des dizaines qui sont construits sur ce schéma. Mais il a choisi le symbole le plus sacré, sur lequel s'est construit tout l'édifice d'une religion complexe, basée sur l'idée de la rédemption de l'homme pécheur. Il n'est pas étonnant que la perception en soit si controversée et exigeante.

Néanmoins, c'est juste par cela que le film est très moderne. Je ne veux pas prêter des intentions philosophiques à Gibson, on dit qu'il est un catholique pur et dur, de genre traditionaliste, et il avoue lui-même avoir voulu montrer la souffrance du Christ afin que nous soyons renforcés dans la foi.

Toujours est-il que si le film peut susciter également d'autres réactions et être vu comme un produit artistique qui pose un problème humain et universel, c'est qu'il a réussi un pari esthétique. Dans le processus de création de toute oeuvre d'art, il n'y a pas toujours de concordance entre l'intention du créateur et la réception à l'autre pôle, celui du consommateur esthétique.
Comme dit le poète, "heureux qui, comme Ulysse a fait un long voyage", je dirais: heureux celui dont la foi a réussi à s'élever au-dessus de la manifestation strictement religieuse (c'est valable pour toute religion). C'est justement pour cela que Jésus intriguait les grands prêtres, d'ailleurs.
Sur le chemin de la Croix, Jésus, qui n'est plus qu'un morceau de chair ensanglantée, dit à Marie: "Vois, Mère, je rends toute chose nouvelle" .
Bien sûr, rien ne sera plus comme avant.
 
Je ne suis sortie de ce film ni antisémite, ni en aimant davantage l'Eglise. Je suis reconnaissante de l'avoir vu à l'approche des Pâques, ces Pâques qui devraient être oecuméniques davantage dans l'attitude des chrétiens que dans les déclarations ou les engagements diplomatiques des Eglises.
 
Carmen Serghie Lopez
www.hautetfort.com/elargissement-ro
serghie_carmen@yahoo.com