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31/01/2005

Actualités-choix

-Dans le quotidien Evenimentul Zilei on peut lire que le Président de la Commision Européenne a donné son numéro de téléphone au Premier-Ministre roumain, afin que celui-ci puisse le joindre directement.
Il me semble que c'est révélateur non seulement d'une certaine transparence, mais surtout du fait que la Roumanie est bien un cas nécessitant un traitement spécifique et urgent.

-La participation au vote des Irakiens en proportion de plus de 60%, malgré toutes les menaces, est une excellente nouvelle. J'en étais sûre, malgré toutes les analyses sceptiques (lire: objectives, agrémentées de cette ironie qui n'est même plus un trait d'esprit...) que j'entends à longueur de journée.

Sur Euronews on apprend que la réserve fédérale américaine a augmenté le loyer de l'argent aux US, "en raison de la robustesse de la croissance américaine, le bon moral des ménages et l'investissment soutenu des entreprises". En tout cas, tout le contraire de ce que prévoit l'analyste français Emmanuel Todd concernant la faillite et l'écroulement de l'empire américain.

Hugo Chavéz, le Président du Vénézuela réaffirme son engagement de "lutter contre la pauvreté et la corruption" et dit que "son bateau ne coulera pas".

Espace européen. L' Allemagne dépasse la barre des 5 millions de chômeurs et est en train de réformer son système des assurances chômages. D'après l'article paru dans un journal anglais à ce sujet (lien hypertexte http://www.telegraph.co.uk/news/main.jhtml?xml=/news/2005/01/30/wgerm30.xml&sSheet=/news/2005/01/30/ixworld.html), une informaticienne de 25 ans en recherche d'emploi se serait vu proposer une offre dans un bordel (la prostitution est légalisée depuis deux ans), avec la précision qu'un refus entraînerait la suspension des allocations. Au moins, c'est clair.
En France, la culture de l'euphémisme fait que l'on prête davantage d'attention aux formes. Grâce à des dispositifs tels les CES, prochainement remplacés par les RMA (Revenu Minimum d'Activité), pour un montant équivalent aux allocations (à quelque chose près) on fournit un travail réel, quelque part, dans une entreprise. L'éventuel argumentaire tourne autour de "la valorisation de la personne par le travail". Cela me rappelle le rêve du communisme au visage humain.

Carmen Lopez
serghie_carmen@yahoo.com

28/01/2005

La semaine européenne -74


La Roumanie à la traîne
Bruxelles envisage l'utilisation de clauses de sauvegarde



La Roumanie doit intégrer l'Union européenne le 1er janvier 2007. Mais le pays est en retard en matière d'application du droit communautaire, de lutte contre la corruption et de respect des libertés. Cela préoccupe la Commission et certains Etats membres. L'autorisation donnée à cet état de l'ancien bloc soviétique, fort de 22 millions d'habitants, dont le territoire s'étend de la Hongrie à la mer Noire, pourrait bien être revu par l'application de clauses de sauvegarde.

Les Roumains ont du mal à libéraliser leur secteur étatique, notamment dans la sidérurgie, ainsi que pour lutter contre la corruption. Cela inquiète un certain nombre d'Etats membres, notamment les pays scandinaves, qui y voient le non-respect du droit communautaire le plus essentiel.

Clause de sauvegarde renforcée
La Commission a obtenu du Conseil européen qu'il assortisse son feu vert d'une menace inédite : les Vingt-Cinq pourront décider, à la majorité qualifiée, de reporter d'un an l'adhésion de la Roumanie s'ils constatent qu'elle ne respecte pas certaines obligations en matière de concurrence, ainsi que de justice et d'affaires intérieures. Cette clause de sauvegarde renforcée s'appliquera seulement à onze secteurs du droit communautaire.

Clause de sauvegarde générale
Si le Conseil constate que, dans d'autres "domaines importants", la Roumanie, n'est pas en mesure de respecter les conditions d'adhésion pour le 1er janvier 2007, il pourra décider, à l'unanimité, de repousser leur adhésion au 1er janvier 2008. Cette clause de sauvegarde générale constitue, elle aussi, une nouveauté, mais elle sera plus difficile à activer, dans la mesure où elle imposera un consensus des tous les Etats membres de l'Union.

Source: Tiscali.Europe/Newsletter/la semaine européenne-74
serghie_carmen@yahoo.com



24/01/2005

Lettres d'un exilé pour un autre (II)

Cher G.,

Je vais essayer d'écrire avec plus d'attention et éviter ainsi d'éventuelles fautes de frappe, dûes au rythme affectif que prend l'évocation de ma galère. Tu comprends que je ne m'attarde pas sur l'impact qu'ont eu sur moi certains aspects, je sais que l'expérience de l'exil est pour quiconque difficile. Ce qui fait la particularité de la mienne est que je n'ai pas choisi délibérément de quitter la Roumanie pour aller vivre ailleurs. Je me suis simplement retrouvée face à des enchaînements auxquels il fallait réagir d'une manière ou d'une autre, et même si le choix m'a appartenu, il s'est aussi fortement imposé.

Comme je te disais, à partir de '94, ma dernière année de Doctorat à Nice, le Rectorat de Galati a refusé de m'accorder la moitié de mon salaire. Le nouveau conseil juridique, I.D., un ex-cadre de la Securitate, jusque-là en poste sur la Plate-forme du Combinat Sidérurgique et maintenant muté au Rectorat, une nullité professionnelle, s'est acharné sur mon cas, qui déjà n'était pas courant. J'ai saisi le Tribunal, il y a a eu des procès et des appels, j'y ai été représentée par mon père. Mais c'est en Juillet '95, à mon retour en Roumanie, que je me suis confrontée directement aux menaces de ce crétin qui m'a traitée (textuellement) d'"ennemie de notre Etat", en m'assurant que je rembourserai tout ce que j'avais perçu.
Si au début je croyais qu'il s'agissait d'une lecture de travers du texte de Loi ou de bureaucratie, je me suis rendue compte après qu'il y avait bien autre chose, et j'ai paniqué. Je n'avais donc, rien à faire là-bas dans ces conditions, et je suis retournée en France. Comme je venais de recevoir une réponse pour la candidature que j'avais envoyée au BIT (on me demandait un complément d'information), je me suis accrochée à ce fil. Mon titre de séjour était encore valide pour quelques mois. J'ai fait un aller-retour Nice-Genève pratiquement pour rien. C'était purement administratif, ils entraient les données dans un starter, les postes étaient "bloqués jusqu'à nouvelles dispositions".
Je devais trouver une solution. Je me suis inscrite en DESS de l'Administration de l'Entreprise, à Nice, sans avoir un sou pour continuer. A mon départ, mon père m'avait donné 1500 francs pour tenir un peu. Il m'a fallu argumenter à la Préfecture des Alpes-Maritimes mon nouveau statut d'étudiante, car le Doctorat étant le diplôme le plus haut, ils ne voulaient pas m'accorder un titre de séjour pour préparer un DESS. J'ai fait remarquer qu'il s'agissait là de deux domaines de spécialisation différents, et que me former dans la gestion de l'entreprise correspondait à mes projets (j'avais une société en Roumanie, etc). Ils ont accepté, en grinçant des dents. Je me souviens bien: "Quand est-ce-que vous quittez le territoire, Madame? "Eh bien, quand j'aurai fini mes études", mais je tremblais toute, car je savais qu'il fallait trouver une autre issue. Travailler dans une organisation internationale pour la Roumanie était ce qui me convenait le mieux, mais ce n'était qu'une touchante naïveté, j'avais un passeport roumain et non pas européen et je n'étais personne.
Il n'était pas inintéressant, ce DESS, les cours qui avaient plus ou moins trait aux sciences humaines me plaisaient bien, mais l'analyse financière et la comptabilité dépassaient mon entendement, ce qui fait qu'après six mois de fréquentation assidue, je ne suis pourtant pas arrivée aux oraux, faute d'avoir trouvé un stage qui était la condition obligatoire. Mais on me l'a toujours reconnu comme formation.

A l'hôtel où j'habitais auparavant, je connaissais un Franco-Espagnol, qui louait une chambre à l'année. D'ailleurs, l'hôtel fonctionnait comme une sorte de pension, avec des clients qui étaient là pour une période plus longue, et ces habitués avaient fini par nouer des liens amicaux. Le propriétaire, un Italien qui avait fait la Résistance, nous invitait pour partager un plat de pâtes ou de polenta. Mon fils et son père avaient eu l'occasion de rencontrer ce petit monde pendant l'été '94, y compris l'Espagnol en question, mon mari avait bu avec lui un J&B.
Donc, Lopez m'a proposé de l'épouser. Je mettais ainsi un terme à mon angoisse et lui, il faisait une bonne action "pour l'humanité" et se rachetait aussi une conduite après une vie flambée (genre bon vivant, un certain humour, 18 ans de plus que moi). Mon intuition n'était pas en sommeil, mais de toute façon, je me trouvais entre deux feux. Et comme j'hésitais toujours, il a été franc: "Autrement, tu tombes à l'eau". Je me suis souvenue que je ne savais pas nager, et que "La Belle et la Bête" finissait bien, quand même (je lui ai offert le livre..).
Je me suis occupée de toutes les formalités au Consulat de Marseille, j'ai fixé la date à la Mairie de Nice, j'ai eu le trac le jour du mariage...Ensuite, je me suis rendue en Roumanie pour changer mes papiers d'identité avec le nouveau nom (carte, passeport, signature en banque pour ma société) et pour annoncer la nouvelle à mes parents (ils ont failli avoir une attaque), et à mon ex-mari (il a ouvert une bouteille de vin: "A votre santé, Madame Lopez!").
Je venais d'entrer dans une autre légalité, je ne tremblais plus tous les trois mois à la Préfecture, mais je tremblais pour d'autres choses. Mon remariage n'a jamais été blanc, du gris il a viré résolument au noir. Telle Alice, je passais de l'autre côté du miroir, mais dans un cauchemar éveillé. Normalement, je devais craquer, Lopez est apparu dans toute sa splendeur. Eh bien non, je me suis découvert des ressources de dureté qui m'ont permis de faire face à des situations inédites, pour moi. Mais la pression était invivable, deux ou trois fois j'ai dû rétablir l'ordre par la force (serrurier, police, samu). Il était pourtant clair qu'il fallait réussir une séparation si je tenais à rester intacte psychologiquement et à faire aussi quelque chose. Finalement, c'est par le Tribunal des Affaires Familiales que tout s'est calmé (quand il a reçu la citation, il est resté sans voix, tout ce qui était administratif lui faisait peur). Il y a eu une séparation de résidence d'un commun accord, sans le divorce, car vraiment cela n'aurait rimé à rien.
Je suis entrée dans un circuit spécifique, et comme j'allais le découvrir très vite, complètement sans issue: femme seule et résidente étrangère. Il n'y a pas pire pour vous tuer "à petit feu", comme m'avait prédit Lopez. Des possibilités infimes pour avoir un emploi convenable, uniquement de petits contrats, comme des gares, dans des associations. Parfois, la serpillière n'était pas exclue (lire "petits travaux secrétariat chez personne âgée",- ce sont les nouveaux codes des offres), mais je ne veux pas paraître ingrate (ce qui est impardonnable en France, il faut toujours savoir dire merci), j'ai donc, travaillé aussi avec des livres... (par exemple maintenant, dans une bibliothèque d'école). J'avais droit à la double nationalité (avant de me séparer, je suppose) simplement, d'un point de vue personnel il m'a été impossible de me décider pour cette démarche.
En Roumanie, j'ai eu du mal à faire accepter ma démission, le Ministère de l'Education chargeait le Rectorat et vice versa. En fin de compte, j'ai réussi à saisir l'enjeu de la trame: l'intérêt était que je sois absente (même s'il fallait m'exaspérer, me dégoûter, me menacer), et que mon poste de titulaire reste disponible pour des remplacements temporaires (et préférentiels). Or, si je donnais ma démission, on le mettait au concours. C'est pourquoi, rien ne se débloquait et tout tournait en rond. Mon père n'en pouvait plus, moi, je me demandais s'il serait toujours possible de trouver quelque part une justice normale dans ce pays. C'est tout petit un pays, quand on a fait le tour de ses institutions. Heureusement qu'il existe les instances internationales. J'ai fait une lettre résumant toute la bataille juridique, ce que j'en pensais et ce que je comptais faire, je l'ai portée au Service des Renseignements de Galati et j'ai demandé une enquête officielle. J'étais déjà résidente en France et je crois que cela leur a inspiré un peu de respect et qu'ils ont fait un effort de justice. Trois semaines après, je gagnais le procès en dernier appel et je recevais mon Livret de travail, que l'on avait refusé de me délivrer. Et c'est ainsi qu'a pris fin ma carrière dans l'enseignement, on m'a volé trois années d'ancienneté, il me reste en tout 19 et 11 mois. Je n'ai plus retourné la tête.

J'ai transformé ma société avec Claudiu comme associé, et j'ai rajouté à l'objet d'activité "formation professionnelle" (je t'ai dit qu'en Roumanie les sociétés ont, en général un objet d'activité multiple, c'est-à-dire qu'elles font tout, sauf la drogue...). J'ai commencé à explorer des possibilités pour démarrer, en entrant dans un programme européen. Pratiquement, la société est tout ce que j'ai, comme point d'appui (seulement, je ne veux rien faire bouger d'autre que quelques administrations...). Entre temps, j'ai fait venir Claudiu pour des études en Management dans un programme universitaire franco-américain. On s'est endettés tous les deux, mais au moins il a un diplôme international. Le tout dans des conditions de solitude, de recherches de financement pour le projet, de combat au quotidien pour survivre et payer les frais des études. Pour nous, le coût a été énorme, surtout en Amérique. Mon père nous a aidés, aussi. Il nous a quittés, brusquement, le 30 Janvier 2002. Peut-être que la vraie raison de cet exutoire, c'est bien lui.
Je t'avoue que ce qui me fait tenir est le désir de voir Claudiu en Europe, travailler pour sa propre société et la transformer en quelque chose d'international. Mais pour le moment, je m'efforce d'accepter son prochain nouveau départ au-delà de l'Atlantique. Je regarde la carte du monde qui est étalée sur tout un mur, dans ma chambre, et je me surprends prier qu'il ne décide pas de s'installer sur la Côte Ouest, mais sur la Côte Est, c'est plus près...
Qu'il ne puisse rien faire de valable dans son pays, qu'il se voit obligé de repartir, tout comme moi je n'ai rien pu faire dans mon pays de ce que je souhaitais en revenant de France avec un Doctorat, cela me semble plus qu'injuste. C'est pourquoi, je dirai toujours que la Roumanie a un destin que nous portons avec nous, comme un stigmate, telles des bêtes marquées au fer rouge.

Il y a plus de deux millénaires, nos terres du bord de la Mer Noire, appelées Pontus Euxinus (l'ancienne Tomis, à quelques deux cents km de Galati...) ont accueilli un exilé célèbre, que la Cour de Rome avait éloigné, Ovide. Son bijou, "Remèdes à l'amour" enseigne exactement l'inverse de l'art d'aimer. Le désaimer (ou le désamour) a lui, aussi des degrés, mais le but est identique: c'est retrouver sa vérité et sa liberté intérieure.
Aujourd'hui, je dirais qu'à quelque chose exil est bon. Tu ne crois pas?

Je te remercie pour ta patience, je suis épuisée, moi aussi...
All the best,
Carmen

21/01/2005

Lettres d'un exilé pour un autre (I)

Les lettres sont traduites du roumain. Elles sont, comme d'habitude, envoyées par e-mail aussi.

Cher G.,
Je n'utilise pas l'adresse de mon pseudonyme, mais l'autre, car le sujet dépasse le domaine strictement personnel. Je dispose d'environ trente minutes, je vais essayer de concentrer des années en quelques phrases, de doser l'information et la pudeur, de sorte que tu comprennes quelque chose sans être trop choqué.
J'enseignais le français dans un Lycée à Galati, en tant que professeur titulaire. J'avais obtenu en '88 le Grade premier, avec une Thèse sur Le Discours narratif dans le roman policier, un sujet audacieux et nouveau, à l'époque. Après Tchernobyle '86, mon fils alors âgé de quatre ans a commencé à développer une sorte d'eczéma aux ongles qui, après quelques années, s'est étendue à d'autres endroits du corps, en devenant vraiment importante. Les spécialistes lui prescrivaient des pommades, mais tu sais que l'on manquait de tout, dans les hôpitaux il n'y avait même pas d'alcool pour désinfecter...Nous avions tout essayé, je ne voulais pas accepter qu'à cette fin de siècle, il n'existait pas un remède.
1989 est arrivé et aussi le printemps '90, avec toutes les confusions que tu n'as pas vécues en live, mais moi, si... A l'approche des Pâques, j'ai adressé sept lettres à sept universités en France, après les avoir choisies sur la carte, dans un numéro de la revue Le français dans le monde, un périodique de méthodologie de langue française. Je conservais cet abonnement envoyé par l'Institut français de Bucarest, malgré son prix toujours en augmentation (je renonçais au vrai café acheté sur le marché noir, pour des mélanges douteux de soja), et malgré les petites misères de la part des "camarades lieutenants" de la Securitate en charge de notre lycée (mon abonnement signifiait "relations avec l'étranger" et je me souviens bien qu'un jour, énervée par ces tracasseries idiotes, j'ai abordé le lieutenant pour lui montrer un exemplaire et lui expliquer que si j'avais enseigné la géographie, je me serais procuré un atlas, mais puisque j'enseignais le français...). Dans ma lettre (de motivation, comme on dit en France), je souhaitais participer à l'une des sessions organisées par les Universités Internationales d'été. Elles m'ont presque toutes répondu, mais il fallait payer en francs, je n'avais même pas de lei.
Par bonheur (enfin, je ne sais plus...), c'est l'Université d'été de Nice qui m'a simplement envoyé un télégramme m'annonçant que j'allais recevoir une invitation gratuite pour un mois. Ils avaient quelques bourses pourvues pour l'Est et ma lettre, qui parlait de mon désir de voir le pays dont j'enseignais la langue et la littérature, les avait touchés.
C'est ainsi que je suis arrivée en France en Août '90, en passant pour la première fois une frontière à l'Ouest, après un voyage en train à travers l'Europe, pendant deux jours et deux nuits, imagine l'aventure...J'ai eu le choc de ma vie à Stuttgart, lorsque je suis descendue du train, je n'avais jamais vu de magasins alimentaires si pleins, j'ai acheté une banane que j'ai mangée en pleurant... Je dépassais le niveau des cours pour étrangers, j'étais enseignante quand même, mais ce mois-là a été fantastique. Je suis devenue amie avec une collègue qui donnait un cours de psychanalyse littéraire, et qui s'étonnait que le sujet ne me fût pas étranger (je venais de Roumanie et j'avais lu Freud!). De retour à Galati, j'ai écrit un texte, Nice, mon amour..., une sorte d'évocation en parallèle de mon quotidien retrouvé et des moments passés sur la Côte, et je le lui ai envoyé. Elle en a parlé au Directeur et l'Université d'été a renouvelé son invitation pour Août '91, dans les mêmes conditions d'hébergement en résidence universitaire. Je pouvais aussi choisir les cours que je voulais. J'ai décidé alors de rester après la session et de tenter quelque chose quant à un éventuel traitement pour Claudiu. Je n'avais pas la moindre idée comment, et j'ignorais complètement que je serais amenée, à partir de ce moment-là, à traverser des tunnels, à payer des douanes, à sacrifier certaines choses.
Je passe sur les efforts pour obtenir des prolongations de mon séjour, j'étais entrée comme touriste. Avec une ordonnance délivrée par la Clinique de Bucarest suite à la biopsie, j'ai réussi à constituer un dossier médical, à fixer deux rendez-vous chez deux spécialistes, à Nice et à Cannes, et à faire venir Claudiu en Juin '92. J'ai travaillé pendant quelques mois dans un village, chez la veuve âgée d'un entrepreneur, comme dame de compagnie (la patience, qui était le fort de notre éducation m'a beaucoup servi, car j'ai beaucoup regardé la télé avec elle...), et j'ai pu réunir la somme pour le billet d'avion. J'ai aussi rajouté une autre fin et un point d'interrogation à mon petit texte, qui est devenu ainsi Nice, mon amour...?. La voici:

"Nice, Août 1991. La même fenêtre qui s'ouvre sur un bleu éblouissant, la même ville que je découvrais hier fascinée, les mêmes gens que j'ai croisés, par hasard, dès mon arrivée. Mais on ne retrouve jamais les mêmes eaux du même fleuve. Sentiments et images sont passées sur le papier. Heureusement pour moi, car aujourd'hui je suis condamnée à découvrir que le décor est en carton ou que la peinture peut couler...
Nice, Septembre 1991. Je vis dans un espace mort, j'ai remplacé les feuilles vivantes des livres par les feuilles mortes que je ratisse chaque matin, dans le jardin d'une vieille dame. Des feuilles mortes comme mes cheveux qui n'ont plus de vigueur, comme mes espérances trop violentes et insensées de l'année passée. Il suffit de penser à Claudiu, de revoir ses plaies, son petit corps, ses yeux clairs où je me reflète, centre du monde, que je serre les dents et ravale mes larmes. Pour lui, j'ai répété ma chance et j'ai choisi un exil de quelques mois, en m'obstinant à me convaincre que le dernier mot de la médecine me laisse encore d'espoir. Pour son arrivée, que je prépare durement de mes mains, je dois résister, même si mon coeur et mon cerveau éclatent en mille morceaux que je recolle, de sorte qu'ils refassent un coeur qui endure et un cerveau qui raisonne.
Je relis mon texte. Entre l'ironie tendre d'un titre pastiché et le regard avide de l'étranger qui ré-écrit, à sa façon une "lettre persane", j'ai été vraie. Par amour et par pudeur, j'ai emprunté le biais du français, mais maintenant, l'émerveillement de la première rencontre dilué, je sais qu'il n'y a que dans la langue-mère que se réfugie la souffrance d'une mère. Et le roumain a la vocation de l'exprimer. Je n'ai pas le don de la fiction, et si jamais j'écrivais un autre texte, ce serait pour détromper les naïfs qui croient qu'ailleurs, dans une terre promise, se trouvent à l'état pur des valeurs qu'ils n'ont pu connaître.
Ce second séjour en France me fait rajouter un point d'interrogation et me demander si je ne viens pas de troquer un enfer contre un autre. Pourtant, grâce à ces Français qui m'ont tendu la main, je n'oublierai pas que "s'il est une chose que l'on puisse désirer toujours et obtenir quelquefois, c'est la tendresse humaine".


Le spécialiste du Centre Lacassagne de Nice nous a proposé ce qu'il estimait être le dernier remède, un médicament qui devait être pris en doses progressives, alternées avec des examens pour tester la tolérance et l'évolution, tout cela pendant un an. Son confrère de Cannes a fait répéter la biopsie et a prescrit une pommade et un médicament pour ceux qui travaillent dans les rizières. Je me trouvais seule devant deux traitements complètement opposés et je ne savais pas quoi faire. J'ai réfléchi deux jours avant de décider quel traitement choisir, j'ai analysé les prospectus, chaque terme, chaque formule, comme si je m'appliquais sur l'interprétation d'une page de littérature. Mon intuition de mère a dû faire le reste, en décidant pour le premier. Le médicament coûtait 100 dollars par mois, avec mon mari, professeur de sport dans un lycée, nous touchions l'équivalent de 60 dollars par mois.

Je me suis inscrite en Doctorat, et comme ma Thèse de Grade Ier passée en Roumanie m'a valu en France l'équivalence en DEA de Sémiotique, j'ai eu dès le début le statut de Doctorante. J'ai travaillé entre '92 et '95 comme monitrice à la bibliothèque de la Faculté. J'ai habité dans une petite chambre d'hôtel, où j'ai d'ailleurs tapé les 450 pages sur le McIntosh que m'avait prêté l'une des familles chez qui je donnais parfois des cours de rattrapage. C'est ainsi qu'a commencé mon apprentissage en informatique, mais je suis toujours restée une brave autodidacte.
Un hasard m'a fait rencontrer un Arménien, qui s'occupait de voyages humanitaires pour l'Arménie. Il m'a proposé le médicament pour une année entière et trois pièces de 20 dollars en or à 24 carats. J'ai envoyé en Roumanie deux de ces monnaies, collées dans les poches d'un blouson (bien sûr que c'était risqué!). J'ai demandé à mon père, qui était conseil juridique à la retraite (il montait des statuts pour des sociétés que les illettrés de Galati, reconvertis en hommes d'affaires après deux ou trois voyages en Turquie, s'empressaient de monter), de créer une société à mon nom, ayant un objet d'activité multiple. J'avais l'intention de réaliser une unité d'édition, quelque chose de ce genre. Cela se passait en Mars '93. J'ai divorcé la même année. La maladie de Claudiu a été définitivement enrayée au bout d'un an de traitement strictement observé. Nos destins venaient d'être marqués sur sa peau.

Pendant l'été '94 je n'ai pu retourner en Roumanie, j'ai continué le travail sur ma Thèse. C'est Claudiu et son père qui sont venus à Nice, pour trois semaines, ils bénéficiaient d'un nombre de voyages gratuits en train et donc, d'un aller-retour international. Mon amie, qui passait ses vacances à Paris nous avait laissé son appartement, pour le reste on s'est débrouillés, on avait l'habitude de faire avec si peu de choses...
J'ai eu ma soutenance en Juin '95, avec un bon résultat, mention Très Honorable à la Majorité. Le sujet m'appartenait (La Rhétorique de la Passion dans le roman médiéval), c'est moi qui l'avais proposé et mon coordinateur était lui aussi curieux de voir ce que cela pourrait donner. La soutenance m'est restée comme un beau moment, comme celle du Grade Ier en Roumanie (quatre heures pour défendre cet autre enfant, heureusement je m'étais refusé d'assister chez d'autres collègues...). J'ai préparé quelque chose pour le pot, et l'Université (le vice-président, celui qui m'avait accordé la bourse de monitrice, sans laquelle mon Doctorat n'aurait pas été possible, et mon directeur) a offert le champagne. Ce jour-là a été le dernier jour de ma vie d'intellectuelle.

Après, normalement je devais retourner en Roumanie. Avec un Doctorat français, même si je n'avais pas le tapis rouge, au moins un poste à l'Université locale. Il aurait été illogique de reprendre mon emploi au Lycée et je n'en avais aucunement l'intention. Pendant mon absence, on me remplaçait et je recevais la moitié de mon salaire pour mon fils, c'est la Loi et je m'étais battue avec le Rectorat pour qu'ils la fassent appliquer correctement. Ils disaient qu'ils ne m'avaient pas envoyée pour préparer un Doctorat à l'étranger, et que pour eux, j'étais très bien comme j'étais...Bien entendu, chaque année je renouvelais mon visa pour la France sur la base d'une attestation délivrée par le Ministère roumain de l'Education, le Secrétaire d'Etat à l'époque m'avait félicitée d'être arrivée à parachever mes études par mes propres moyens.
Mais la mafia locale était, elle aussi tenace.
Donc, fine del primo tempo...Si tu as résisté, je continue lundi le secondo tempo. Tu m'as dit que tu aimais lire...
Comme on dit en roumain maintenant,
All the best,
Carmen