01/04/2023
Avril 2023
(Photo- Des pâquerettes, comme des euros)
Peu avant Pâques, voici l'Evangile roumain (étymologiquement, la Bonne Nouvelle): la Roumanie est prête à absorber les dizaines de milliards d’euros européens grâce à son PNRR ! Elle va monter des projets nécessaires et remarquables dans l’infrastructure des transports (chemins de fer, routes et autoroutes, avions), l’éducation, le système de santé, l’administration. Pour mettre tout cela en oeuvre, elle va bénéficier de la vision claire, stratégique, de ses dirigeants politiques, conseillés (comme le veut la tradition) par des Services modernes et efficaces. Mais elle va bénéficier surtout des hautes compétences professionnelles des milliers de porteurs de projets, engagés joyeusement dans ce vaste chantier de reconstruction digne d’un pays européen démocratique et fier de l’être.
C’est un poisson d’avril, bien entendu.
La réalité est plutôt dans cette note que j'ai écrite en juillet 2020, quand le pactole a été voté par l’Union Européenne, lors d’un sommet historique à Bruxelles. Aujourd'hui, c'est clair et net: la Roumanie n'a rien à faire de ces fonds-là, l'absorption est impossible, on reste comme on est, ça va, non? Enfin, elle continue à se dégrader et à dégringoler ce qu'il lui reste encore de la pente.
Ce pactole européen qui va partir en fumée
08:00 Publié dans Actualités, Archives, Enjeux, Evénement, information, Presse, RO-EU-USA/Coopération | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fonds ue, roumanie, absorption impossible | Facebook | | Imprimer
19/02/2023
La dépression roumaine
(Photo- Des vêtements pour le décédé, à la morgue)
Cette semaine, en Roumanie, deux aspects plus déprimants que d’autres, à mes yeux.
Le premier est lié au Plan National de Relance et de Résilience (PNRR) censé apporter plusieurs dizaines de milliards d’euros. Mais il faut avancer des projets viables, ce qui n’a rien de nouveau depuis que le pays est entré dans l’UE. La Roumanie a toujours eu le plus bas taux d’absorption de fonds européens, et cela pour des raisons très simples: elle ne peut plus détourner facilement les fonds, car la Commission a multiplié les conditions à remplir, et elle n’est pas non plus capable de monter des projets pour la collectivité (même pas la construction d’une autoroute !). Ses élus préfèrent les contrats avec l’Etat, une porte ouverte à la corruption, au clientélisme, aux sinécures.
Et voilà que la Commission Européenne conditionne les fonds du PNRR par les réformes concrètes dans le domaine des pensions de service (appelées aussi spéciales, des montants énormes, difficilement imaginables pour un pays pauvre comme la Roumanie), et par une réforme plus ample du système public des retraites. On lit sur le site du gouvernement cette information concernant les actes normatifs adoptés dans la réunion de fin décembre 2022 : Les modifications adoptées établissent le fait que les pensions de service seront calculées à partir de l'ancienneté dans la spécialité et avec la réduction du pourcentage de calcul lié au revenu du travail, et la période minimale de cotisation sera similaire à celle appliquée dans le système public de retraite.
Je vais traduire en langage accessible, car il ne faudra surtout pas imaginer que les pensions insolentes vont disparaître par un coup de baguette magique dans un pays profondément corrompu. En fait, la Roumanie fait ce qu’elle sait faire depuis toujours, elle s’efforce de jouer sur les deux tableaux : d’un côté, elle s’engage auprès de la Commission, et de l’autre côté elle met toute son intelligence en œuvre afin de trouver des artifices et des combines juridiques pour conserver les avantages d’une armée de parlementaires, de magistrats, de militaires, etc. C'est comme cela qu'il faudra lire la note du gouvernement.
Le deuxième aspect, macabre, semble relever de l’éthique professionnelle individuelle, ou de la conscience, tout court. Néanmoins, ne nous y trompons pas, il relève du système roumain, dans son ensemble. Un médecin cardiologue à l’hôpital de Iasi a réalisé, depuis 2017, un nombre de 238 prélèvements de dispositifs médicaux sur des personnes décédées et les a réimplantés à des patients. On parle de pots-de vin et aussi du fait que certains diagnostics étaient fictifs, et que les interventions n'étaient pas nécessaires. L’enquête vient de commencer, mais il est difficile de croire à la responsabilité d’un seul individu dans ce type d’opération. En tout cas, entre le système sanitaire roumain et le système judiciaire roumain, on a de faibles chances de voir la lumière. On comprend bien qu’il s’agit finalement d’un mode de fonctionnement, d’un mode de pensée, et que ce pays ne s’en sortira jamais. Comme le résument bien ces lignes lues sur un réseau social : Ce pays est un cancer. Des médecins, des fonctionnaires, des enseignants, des notables, des directeurs, des citoyens lambda, partout rien d'autre que des métastases avancées. Nous nous noyons dans l’incompétence, l’indifférence, la bêtise, le népotisme, l’arrivisme, l’avidité, la peur, la fraude, comme dans un marécage.
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15/01/2023
La culture nationale
(Mes photos- Des jacinthes de Nice, en souvenir de mon frère)
En Roumanie, le 15 janvier est le Jour de la culture nationale, c’est le jour de naissance du poète Mihai Eminescu (15 janvier 1850). J’ai cherché dans les Archives de ce blog et j’ai retrouvé trois notes à ce sujet, et avec lesquelles je suis toujours d’accord, donc je les résume.
Selon la formule consacrée, Eminescu est un poète national et universel. National, il l’est sans l’ombre d’un doute, mais son universalité réside dans les thèmes de ses poèmes (l’amour, la nature, l’histoire, le devenir), plutôt que dans une notoriété au-delà des frontières culturelles de la Roumanie. La vérité est que très peu de traductions valables ont pu le faire connaître, et seulement dans deux-trois langues de large circulation. Il faut remarquer que la littérature roumaine est quasiment une inconnue dans le patrimoine universel. C'est le destin d'une langue confinée dans un espace entre l'Occident et l'Orient, et parlée uniquement par son peuple, lequel, à travers son histoire, a été préoccupé par se défendre, survivre, se débrouiller, imiter. Chercher un site sur Eminescu pour lire, en traduction, ses poèmes, je ne le conseille pas. J'ai vu quelques sites qui avaient massacré les poésies, vraiment. Aucun service rendu à l'esprit du poète, bien au contraire. On ne peut s'improviser traducteur de poésie, il faut connaître, dans une égale mesure, la langue source et la langue cible. L'amour ne justifie pas tout.
Alors, affirmer que « le grand poète Eminescu est traduit dans toutes les langues » est, encore une fois, l’un des nombreux rêves de grandeur typiquement roumains, assez loin de la réalité. Comme on le sait bien, on ne traduit pas la poésie, mais on la transpose, et cela parce que la métaphore est liée aux règles sémantiques de profondeur propres à l’esprit de chaque langue, à sa philosophie, c’est-à-dire à sa perception et à sa vision d’elle-même et du monde. C’est la vision qu’une langue exprime qui lui donnera accès à l’universalité. Vouloir, ce n’est pas toujours pouvoir. Dans ma bibliothèque à Nice, j’ai un recueil de poésies d’Eminescu, dans une édition scolaire du temps de mes études (ou de celles de mon fils), apportée de Roumanie, et un billet de banque de 1000, avec le portrait du poète, et qui n’est plus valide. Je les expose sur le bureau, ma façon de marquer le jour.
En janvier 2009, j’ai fait un voyage de quelques jours en Roumanie. Je suis tombée au moment de la célébration des 159 ans de la naissance du poète national, mais aussi d'un scandale qui agitait la classe politique roumaine, plus exactement les clans politiques. J'ai également pu suivre en direct la transmission de la cérémonie d'investiture du président américain, et j'ai parlé au téléphone avec mon fils pour lui dire surtout de rester là où il se trouvait, c'est-à-dire aux States, car la Roumanie serait la même, sinon pire, dans cinquante ans. Il existe une vérité qui crève les yeux, en 2023 la même qu’en 1880, quand le poète écrivait ses articles de journal. Ce quelque chose est profondément enraciné chez nos dirigeants et chez nos politiques, appelons-le comme vous voulez : imposture, mauvaise foi, opportunisme, corruption, etc. « Le mal essentiel qui ronge la vitalité de notre peuple, c’est la démagogie », écrivait Eminescu. Plus actuel que jamais.
Souvenons-nous aussi : « Pour qu’une nation compte, il faut que la moyenne en soit bonne. Ce qu’on appelle civilisation ou simplement société n’est rien d’autre que la qualité excellente des médiocres qui la composent. » (E.M. Cioran, Ecartèlement)
14:41 Publié dans Actualités, Archives, Evénement, Livre, RO-EU-USA/Coopération, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : culture nationale, roumanie, eminescu | Facebook | | Imprimer
03/12/2022
Un voyage très triste
(Mes photos -Le Danube en Roumanie)
Mon unique frère est décédé le 20 novembre dernier, au volant, sur une route départementale à 50 km de sa ville de résidence, G., en Roumanie. Il a eu un malaise, a perdu le contrôle de la voiture qui est entrée sur le contre-sens, a heurté un petit pont et s’est renversée. Il est resté incarcéré environ trente minutes, jusqu'à l’arrivée des secours, qui n’ont pas réussi à le ressusciter. Le médecin légiste a constaté l’arrêt cardiaque.
J’essaie de trouver un vol Nice-Amsterdam-Bucarest (avec KLM), durée 6 heures, puisque je fais un détour, je monte vers le nord pour descendre vers Bucarest, mais c’est la seule possibilité pour faire concorder les horaires, car ensuite je dois prendre un train de Bucarest à G. (un train qui met quatre heures pour 250 km). Le lendemain, je vais avec un proche à l’entreprise de pompes funèbres (elle a proposé ses services immédiatement après l’accident, plus exactement, c’est le policier qui a établi le procès-verbal de l’accident qui nous a passé le responsable au téléphone…). Une telle société en Roumanie s’occupe des obsèques tout court, c’est-à-dire de l’enterrement selon le rite orthodoxe (lequel est compliqué), et non des démarches administratives. Celles-ci sont de l’absurde à l’état pur. Je vais à la morgue pour laisser au médecin légiste les vêtements complets que l’entreprise de pompes funèbres nous a choisis, et pour régler la taxe d’embaumement. Avec ce document, je dois obtenir le certificat de décès, pour obtenir ensuite le certificat d’inhumation dans la tombe de la famille. Mais d’abord, il faut le tampon du procureur de service (le ministère public), et ensuite il faut aller à la mairie de la petite localité F., le lieu du décès. Je ne comprends pas pourquoi le certificat de décès ne peut être établi par la mairie de domicile du défunt, de la ville de G., pourquoi il n’y a pas de transmission de données, pourquoi rien n’est prévu pour ces situations. Si mon frère était décédé à l’autre bout de la Roumanie, à 1000 km distance de sa ville de résidence, il aurait fallu que la famille aille chercher le certificat de décès à 1000 km. J’obtiens du procureur qu’il mentionne comme lieu de décès G., la ville de résidence, et je me présente donc à la mairie. La fonctionnaire refuse catégoriquement de prendre en compte la mention du procureur, elle exige le certificat de décès établi par la mairie de F., la petite localité à 50 km de G., où a eu lieu l’accident. J’explique en vain qu’il m’est difficile de me rendre là-bas, que le défunt est déjà déposé dans la chapelle pour la veillée, et qu’il faut obtenir le certificat d’inhumation puisque l’enterrement est fixé pour le lendemain. C’est impossible. Mon proche m’emmène en voiture à F. A la mairie, la fonctionnaire me dit que le document signé par le procureur n’est pas bon, il a mentionné G., or il faut F. Je lui suggère de mettre un tiré entre les noms des deux localités, ce qui serait logique, puisque F. est une commune de G. Ah non, ce n’est pas possible, il faut que je retourne voir le procureur à G. afin qu’il modifie le papier. Je sens que je vais m’écrouler : retourner à G., 50 km, et ensuite revenir à F., 50 km, et le défunt attend (on peut le dire) dans la chapelle. Finalement, un ange passe quelque part, et la fonctionnaire dit qu’elle va voir monsieur le maire. Nous attendons, moi et mon proche, plus de vingt minutes, pendant lesquelles je me mets à prier, à ma façon : Mon Dieu, si vous existez, soulevez cette chape de bêtise pour que je m’en sorte. Et Dieu consent. La fonctionnaire revient dans son bureau, elle a parlé au procureur, etc., enfin, elle va faire une exception, et elle commence un long travail de transcription du certificat de décès dans de nombreux registres. Avec le précieux certificat, de nouveau les 50 km jusqu'à G., cette fois au cimetière, où, après plusieurs copies et signatures, on me délivre le certificat d’inhumation. Le fossoyeur responsable de la parcelle où se situe la tombe m’explique ce qu’il faut faire, quels matériaux il faut que je procure. Je l’écoute ahurie, mais c’est la version officielle, la plus longue, la version courte est ça vous revient à tant, et je m’occupe de tout, demain tout est prêt. Toute personne sensée choisit la version courte. Je me dis que si je réussis à faire reposer mon frère dans la tombe de la famille, c’est déjà gagné.
Mais ce n’est pas fini. Comme il faut retrouver la seule héritière, sans laquelle beaucoup d’aspects restent non résolus, je m’adresse à l’Etat civil de T.M, j’explique, j’envoie en documents attachés le certificat de décès, mon passeport, et quelques précisions. La ville de T.M est en Transylvanie, donc plus civilisée que la ville de G., à la frontière est de la Roumanie. L’Etat civil me répond qu’il faut d’abord payer 5 lei (environ 1 euro), une taxe pour informations fournies, dans un compte, et ensuite leur envoyer la quittance. Ils pourront interroger la base de données et entamer une procédure de recherche. Et là, le comble de l’absurde est que je ne réussis pas à acquitter les 5 lei dans le compte de l’Etat civil de T.M. A la Poste, on me demande le code fiscal de cette administration. On ne me l’a pas communiqué, je vais sur le site, je ne le trouve pas. Je vais à la banque, mais je n’ai pas de compte bancaire en lei, et de toute façon, il faut indiquer le code fiscal de l’Etat civil/la mairie de T.M, sans lequel la transaction risque d’être rejetée. J’appelle la mairie de T.M, demain c’est fête nationale, le téléphone est mis en dérangement, j’appelle un autre service, enfin, quelqu'un veut bien aller chercher ce code fiscal et me dicte les chiffres. Je passe plus de trois heures à essayer de payer une taxe de 5 lei dans le compte d’une administration roumaine. Une administration digne d’une république bananière, avec des systèmes obsolètes, et une informatisation précaire. Le plus terrible, c’est qu’ils ne se rendent pas compte, cela leur semble normal.
Je me trouve encore en Roumanie le jour de la fête nationale. De la grisaille, de la pluie et de la neige mêlées, du patriotisme, du kitch, des popes, des costumes et des traditions, une avalanche de félicitations adressées aux Roumains de partout. Je pars le lendemain, un train à 5 heures du matin, et deux vols, Bucarest-Paris-Nice. A Paris, à l’aéroport CDG, j’ai peur de rater la correspondance, le terminal 2F est énorme, et une file de plus de 150 personnes qui attendent devant la Police aux frontières, où un seul guichet est ouvert, finalement avec deux policiers. J’arrive de justesse à la porte d’embarquement, où, après le contrôle du passeport, on me dit que, le vol étant complet, je devrai déposer mon bagage à main en soute. Mais je n’ai pas prévu de cadenas, c’est un tout petit bagage pour la cabine. Cela ne fait rien, on me rassure, on lui attache une cordelette et on me dit de le laisser dans le couloir, avant d’entrer dans l’avion. Cela me met en colère, vraiment, je refuse, car je ne comprends pas pourquoi c'est mon bagage qui a été choisi, tandis que les passagers entrent avec des valises beaucoup plus volumineuses. Le commandant de bord fait son apparition, il me dit que c’est aléatoire, et que chez Air France les bagages ne sont pas égarés, la compagnie se porte garante, etc. Je me sens contrariée jusqu'aux larmes, je regagne mon siège, heureusement il est côté couloir. Je reconnais l’agent au sol qui avait enregistré mon petit bagage en soute, elle entre dans l’avion et passe dans l’allée, et je lui fais remarquer : « C’est vous qui avez enregistré mon bagage en soute, vous avez pris mon passeport en priorité. Vous n’avez pas honte ». Elle ne répond pas. Mais je vise juste : « aléatoire », ça tombe sur un passeport roumain qui voyage en classe économique. Je refuse la collation, je demande seulement un verre d’eau et je prends un quart de propranolol. Au moment de sortir de l’avion, j’entends le commandant dire en roumain la revedere, cela m’est adressé, mais je ne réagis pas. Je me dis que je viens de quitter le Pays de la Bêtise pour entrer dans le Pays de l’Arrogance.
18:06 Publié dans Voyage | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : roumanie, administration, décès, vol air france, cdg | Facebook | | Imprimer