03/12/2022
Un voyage très triste
(Mes photos -Le Danube en Roumanie)
Mon unique frère est décédé le 20 novembre dernier, au volant, sur une route départementale à 50 km de sa ville de résidence, G., en Roumanie. Il a eu un malaise, a perdu le contrôle de la voiture qui est entrée sur le contre-sens, a heurté un petit pont et s’est renversée. Il est resté incarcéré environ trente minutes, jusqu'à l’arrivée des secours, qui n’ont pas réussi à le ressusciter. Le médecin légiste a constaté l’arrêt cardiaque.
J’essaie de trouver un vol Nice-Amsterdam-Bucarest (avec KLM), durée 6 heures, puisque je fais un détour, je monte vers le nord pour descendre vers Bucarest, mais c’est la seule possibilité pour faire concorder les horaires, car ensuite je dois prendre un train de Bucarest à G. (un train qui met quatre heures pour 250 km). Le lendemain, je vais avec un proche à l’entreprise de pompes funèbres (elle a proposé ses services immédiatement après l’accident, plus exactement, c’est le policier qui a établi le procès-verbal de l’accident qui nous a passé le responsable au téléphone…). Une telle société en Roumanie s’occupe des obsèques tout court, c’est-à-dire de l’enterrement selon le rite orthodoxe (lequel est compliqué), et non des démarches administratives. Celles-ci sont de l’absurde à l’état pur. Je vais à la morgue pour laisser au médecin légiste les vêtements complets que l’entreprise de pompes funèbres nous a choisis, et pour régler la taxe d’embaumement. Avec ce document, je dois obtenir le certificat de décès, pour obtenir ensuite le certificat d’inhumation dans la tombe de la famille. Mais d’abord, il faut le tampon du procureur de service (le ministère public), et ensuite il faut aller à la mairie de la petite localité F., le lieu du décès. Je ne comprends pas pourquoi le certificat de décès ne peut être établi par la mairie de domicile du défunt, de la ville de G., pourquoi il n’y a pas de transmission de données, pourquoi rien n’est prévu pour ces situations. Si mon frère était décédé à l’autre bout de la Roumanie, à 1000 km distance de sa ville de résidence, il aurait fallu que la famille aille chercher le certificat de décès à 1000 km. J’obtiens du procureur qu’il mentionne comme lieu de décès G., la ville de résidence, et je me présente donc à la mairie. La fonctionnaire refuse catégoriquement de prendre en compte la mention du procureur, elle exige le certificat de décès établi par la mairie de F., la petite localité à 50 km de G., où a eu lieu l’accident. J’explique en vain qu’il m’est difficile de me rendre là-bas, que le défunt est déjà déposé dans la chapelle pour la veillée, et qu’il faut obtenir le certificat d’inhumation puisque l’enterrement est fixé pour le lendemain. C’est impossible. Mon proche m’emmène en voiture à F. A la mairie, la fonctionnaire me dit que le document signé par le procureur n’est pas bon, il a mentionné G., or il faut F. Je lui suggère de mettre un tiré entre les noms des deux localités, ce qui serait logique, puisque F. est une commune de G. Ah non, ce n’est pas possible, il faut que je retourne voir le procureur à G. afin qu’il modifie le papier. Je sens que je vais m’écrouler : retourner à G., 50 km, et ensuite revenir à F., 50 km, et le défunt attend (on peut le dire) dans la chapelle. Finalement, un ange passe quelque part, et la fonctionnaire dit qu’elle va voir monsieur le maire. Nous attendons, moi et mon proche, plus de vingt minutes, pendant lesquelles je me mets à prier, à ma façon : Mon Dieu, si vous existez, soulevez cette chape de bêtise pour que je m’en sorte. Et Dieu consent. La fonctionnaire revient dans son bureau, elle a parlé au procureur, etc., enfin, elle va faire une exception, et elle commence un long travail de transcription du certificat de décès dans de nombreux registres. Avec le précieux certificat, de nouveau les 50 km jusqu'à G., cette fois au cimetière, où, après plusieurs copies et signatures, on me délivre le certificat d’inhumation. Le fossoyeur responsable de la parcelle où se situe la tombe m’explique ce qu’il faut faire, quels matériaux il faut que je procure. Je l’écoute ahurie, mais c’est la version officielle, la plus longue, la version courte est ça vous revient à tant, et je m’occupe de tout, demain tout est prêt. Toute personne sensée choisit la version courte. Je me dis que si je réussis à faire reposer mon frère dans la tombe de la famille, c’est déjà gagné.
Mais ce n’est pas fini. Comme il faut retrouver la seule héritière, sans laquelle beaucoup d’aspects restent non résolus, je m’adresse à l’Etat civil de T.M, j’explique, j’envoie en documents attachés le certificat de décès, mon passeport, et quelques précisions. La ville de T.M est en Transylvanie, donc plus civilisée que la ville de G., à la frontière est de la Roumanie. L’Etat civil me répond qu’il faut d’abord payer 5 lei (environ 1 euro), une taxe pour informations fournies, dans un compte, et ensuite leur envoyer la quittance. Ils pourront interroger la base de données et entamer une procédure de recherche. Et là, le comble de l’absurde est que je ne réussis pas à acquitter les 5 lei dans le compte de l’Etat civil de T.M. A la Poste, on me demande le code fiscal de cette administration. On ne me l’a pas communiqué, je vais sur le site, je ne le trouve pas. Je vais à la banque, mais je n’ai pas de compte bancaire en lei, et de toute façon, il faut indiquer le code fiscal de l’Etat civil/la mairie de T.M, sans lequel la transaction risque d’être rejetée. J’appelle la mairie de T.M, demain c’est fête nationale, le téléphone est mis en dérangement, j’appelle un autre service, enfin, quelqu'un veut bien aller chercher ce code fiscal et me dicte les chiffres. Je passe plus de trois heures à essayer de payer une taxe de 5 lei dans le compte d’une administration roumaine. Une administration digne d’une république bananière, avec des systèmes obsolètes, et une informatisation précaire. Le plus terrible, c’est qu’ils ne se rendent pas compte, cela leur semble normal.
Je me trouve encore en Roumanie le jour de la fête nationale. De la grisaille, de la pluie et de la neige mêlées, du patriotisme, du kitch, des popes, des costumes et des traditions, une avalanche de félicitations adressées aux Roumains de partout. Je pars le lendemain, un train à 5 heures du matin, et deux vols, Bucarest-Paris-Nice. A Paris, à l’aéroport CDG, j’ai peur de rater la correspondance, le terminal 2F est énorme, et une file de plus de 150 personnes qui attendent devant la Police aux frontières, où un seul guichet est ouvert, finalement avec deux policiers. J’arrive de justesse à la porte d’embarquement, où, après le contrôle du passeport, on me dit que, le vol étant complet, je devrai déposer mon bagage à main en soute. Mais je n’ai pas prévu de cadenas, c’est un tout petit bagage pour la cabine. Cela ne fait rien, on me rassure, on lui attache une cordelette et on me dit de le laisser dans le couloir, avant d’entrer dans l’avion. Cela me met en colère, vraiment, je refuse, car je ne comprends pas pourquoi c'est mon bagage qui a été choisi, tandis que les passagers entrent avec des valises beaucoup plus volumineuses. Le commandant de bord fait son apparition, il me dit que c’est aléatoire, et que chez Air France les bagages ne sont pas égarés, la compagnie se porte garante, etc. Je me sens contrariée jusqu'aux larmes, je regagne mon siège, heureusement il est côté couloir. Je reconnais l’agent au sol qui avait enregistré mon petit bagage en soute, elle entre dans l’avion et passe dans l’allée, et je lui fais remarquer : « C’est vous qui avez enregistré mon bagage en soute, vous avez pris mon passeport en priorité. Vous n’avez pas honte ». Elle ne répond pas. Mais je vise juste : « aléatoire », ça tombe sur un passeport roumain qui voyage en classe économique. Je refuse la collation, je demande seulement un verre d’eau et je prends un quart de propranolol. Au moment de sortir de l’avion, j’entends le commandant dire en roumain la revedere, cela m’est adressé, mais je ne réagis pas. Je me dis que je viens de quitter le Pays de la Bêtise pour entrer dans le Pays de l’Arrogance.
18:06 Publié dans Voyage | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : roumanie, administration, décès, vol air france, cdg | Facebook | |
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12/07/2017
Je reste en France
(Mes photos- Laveurs de carreaux, Nice Etoile)
Voilà un quart de siècle que je vis en France, et son administration ne m’est plus étrangère. La qualité fondamentale que je lui trouve, c’est qu’elle n’est pas corrompue (du moins au niveau des services de base). Vous ne glissez pas quelque chose (argent, cafés, chocolats, parfums, etc…) pour obtenir un document auquel vous avez droit, comme c’est la coutume dans certains pays, vous ne payez pas en même temps votre billet de train et le guichetier qui vous le donne, comme en Inde. Si les fonctionnaires français ont de nombreux privilèges, c’est bien pour empêcher la corruption. Seulement, la nature humaine étant ce qu’elle est, il existe un revers de la médaille. On ne se sent pas forcément motivé pour accomplir attentivement ou correctement les tâches de son poste de travail (on a la sécurité de l'emploi), on peut faire preuve d’un manque de souplesse élémentaire à établir des connexions entre les cases, ce qui peut créer des bugs ou des dysfonctionnements surprenants.. Je me suis parfois demandé si la personne en face de moi était hostile, ou simplement stupide ou obtuse.
15:18 Publié dans Actualités, Emploi, Enjeux, information, Presse, RO-EU-USA/Coopération | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : diaspora, roumanie, stratégie, france, administration, autoritarisme, identité, eglise, services | Facebook | |
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04/08/2014
Mr.Clapson
(Photo Web: Illuminated cubicle and workstation in dark office)
Cet article que j'ai lu hier soir, dans le très sérieux quotidien The Guardian, m'a touchée jusqu'aux larmes, et je dois reconnaître, beaucoup plus que les explosions couvertes ces jours-ci par les médias. Un chercheur d'emploi âgé de 59 ans, mort dans une totale solitude, entouré de ses CV, avec 3 £ sur son compte bancaire, l'estomac vide, et le frigo, où il gardait son médicament contre le diabète, hors service, puisque l'électricité était coupée. Cette tragédie silencieuse est finalement très occidentale, si l'on pense à l'isolement personnel, et surtout, à la fierté s'efforçant d'étayer la dignité (il n'y a pas la multitude de cousins, de frères, la masse de la communauté pour vous porter, ou pour crier..). Elle nous fait voir une autre facette cruelle de l'actualité, celle du rouleau compresseur de l'administration, dont les victimes ne sont pas moins humaines que les autres, qui succombent violemment, mais à cause de l'escalade de la haine et de l'acharnement. On sait bien que l'administration accuse toujours ceux qui ne trouvent pas d'emploi de ne pas chercher suffisamment, en les culpabilisant pour les maigres allocations dont ils bénéficient, et en oubliant que ces maigres allocations retournent dans le circuit de la consommation.. Les sanctions émanant de ces dispositifs de réinsertion (que j'appelle "pénitentiaires") sont mises en application par des fonctionnaires qui, eux, à part le fait qu'ils sont sécurisés par un emploi et un salaire, n'ont ni le temps, ne les moyens pour s'attarder sur un dossier, afin de comprendre une situation, un cas. L'image que j'en ai est celle d'une plantation sur laquelle certains travaillent, pendant que d'autres les surveillent.. Les vrais maîtres, c'est une élite de plus en plus riche, de plus en plus concentrée, et malheureusement, de plus en plus politique.
14:27 Publié dans Actualités, Emploi, Enjeux, information, Presse, RO-EU-USA/Coopération, Web | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : emploi, mort, précarité, réinsertion, administration, élite, richesse, politique | Facebook | |
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20/04/2013
"We got him"
A 8h54 pm, The New York Times écrit: Breaking News Alert, "Boston Bombing Suspect Is in Police Custody". Sur CNN, la bande qui défile en bas de l'écran affiche le tweet lapidaire de la police: "We got him". Voilà, c'est tout, ils l'ont fait, et avec une rapidité formidable, avec le soutien de toute une ville, que le président Obama s'est empressé de remercier. Maintenant, nous allons assister aux commentaires et aux analyses -en France sûrement plus approfondis. Et comme on devrait s'attendre, on va souligner que c'est un cas isolé, car des fous, il y en a partout. Parce qu'il faut, mordicus, éviter le fameux "amalgame", sinon toucher à l'islam deviendrait hautement sensible. Sauf que ce n'étaient pas des fous, mais des jeunes islamistes caucasiens (Tchétchènes Russes) qui s'étaient radicalisés (via Internet, apparemment), après avoir vécu et aussi étudié aux US.. On a tous vu les images de ces jeunes, ils n'étaient pas des banlieusards (au sens français du terme), et ils n'avaient pas l'air d'être mal intégrés (toujours au sens français du terme). Il faut rappeler qu'une fois que vous vous trouvez de manière légale sur le sol américain, vous avez des chances égales pour étudier, pour travailler, pour réussir - mais vraiment égales. Vous n'êtes pas pris dans un dispositif d'insertion ad vitam aeternam, un dispositif purement administratif, dont vous ne sortez pas si vous êtes étranger (car à part ce dispositif, vous n'avez aucune autre chance), et que j'appelle, pour ma part, "administration pénitentiaire". Vous pouvez passer toute votre existence dans un tel dispositif d'insertion, et n'aboutir à rien, puisque c'est quasiment impossible.
Donc, on est obligés de voir, dans le cas de l'attentat américain, que le facteur social ou économique n'y est pratiquement pour rien. Il est culturel. J'ai entendu un commentateur français affirmer que le problème des US serait qu'ils n'arrivent pas à intégrer leurs étrangers (certains de leurs étrangers, ceux-là, plus exactement). Mais une vraie démocratie, c'est la liberté de conscience, n'est-ce pas? Et ce n'est pas, d'ailleurs, ce même discours que ce sont parfaitement approprié les jeunes femmes voilées que l'on invite sur les plateaux de télévision, et dont le bagout vaut trois doctorats? On reprend les concepts de liberté, etc., et on les utilise à l'envers, c'est connu, c'est la vertu du langage.
Le politiquement correct, qui veut éviter à tout prix l'acceptation de toute idée de motivation culturelle (religieuse, puisque la religion est une composante de la culture), sera sans doute présent dans l'explication des événements qui viennent de se produire à Boston.
P-S. Je n'ai rien contre les commentaires, simplement, je supprime les pubs déguisées. Sur ce blog il n'y a pas beacoup de commentaires.. Mais, j'apprends que l'un de mes lecteurs laisse parfois des commentaires, dont certains apparaissent, et d'autres non. En attendant la réponse (technique, sans doute) de mon hébergeur, je vais poster plus loin les quelques lignes de mon lecteur, qui a eu la gentillesse de les retrouver et de me les envoyer.
Ecrit par Claudiu: " Great commentary - as days go by, it becomes more and more obvious that socio-economical integration factors have little to do with the motivation behind the bombings. The 2 young men were naturalized american citizens and once again, radical religious views make their mark. It is not the first time however, let's not forget the "mighty" crusades. Whatever the religion, when it turns radical it turns dangerous for the mankind itself."
08:49 Publié dans Actualités, Enjeux, Evénement, information, Presse, RO-EU-USA/Coopération, Web | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : boston, attentats, terrorisme, culture, us, administration | Facebook | |
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