Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14/04/2005

Merci, Monsieur Thierry de Montbrial...

Je viens de découvrir à la Fnac, sur le rayonnage "Histoire contemporaine, Europe de l'Est", un ouvrage de quelques centaines de pages: Le Grand Choc d'une fin de siècle trop court -Communisme, Post-communisme et démocratie, Entretiens avec Vladimir Tismanéanou, Version française de Jean-François Courriol, Préface de Thierry de Montbrial. L'auteur est Ion Iliescu, l'ex-Président roumain. Le livre est paru fin 2004, aux Editions du Rocher, Monaco (rien d'étonnant).
Le livre est voyant, il veut accrocher dès la première de couverture: la photo tout sourire de l'ex- Président, les sous-titres offrant un condensé du contenu, les couleurs agréables. On n'a pas lésiné sur les moyens, ce n'est pas un livre modeste, dont le but serait avant tout de communiquer quelque chose, son intérêt est d'exister. Il n'est donc pas nécessaire de trop avancer dans le livre, on pourrait se contenter de la couverture. Pour un Roumain qui a vécu l'avant et l'après, ce que dirait Ion Iliescu dans ces entretiens est trop bien connu (pardon, je me demande au passage ce que pourrait enseigner notre politologue, Vladimir Tismanéanou aux US).
J'y ai donc appliqué une méthode de lecture rapide, en diagonale, celle qui convient le mieux à ce genre de textes écrits en langue de bois -cette fois-ci, on a affaire à la version soft du socialisme, avec des emprunts libéraux (pas exactement celle qui me rebutait dans les cours de sciences sociales, autrefois en Roumanie).
Mais, dès que l'on ouvre le livre, c'est bien dans la préface que l'on trouve l'essentiel. Elle est écrite par Thierry de Montbrial, Membre de l'Académie des sciences morales et politiques, fondateur et directeur général de l'Institut français des relations internationales.
J'aimerais dire que j'ai été déçue en lisant cette préface élogieuse et complaisante, élégamment creuse. Je ne l'ai pas été, j'ai trouvé que c'était parfaitement dans l'air du temps.
Il fallait avoir l'autorité de Monsieur de Montbrial pour produire, par exemple cette phrase profonde:
"Le président excelle dans la combinaison peu commune de la pensée et de l'action". On peut comprendre qu'il faut bien écrire quelque chose sur un chef d'Etat lorsqu'on s'est engagé à le faire...
Mais plus loin, je rencontre une idée qui me paraît énorme: "la normalisation" de la Roumanie, après la dictature fasciste et communiste. C'est ahurissant de voir des pages d'histoire expédiées comme cela, d'un trait insouciant:

" Ce livre vient à point car, si aucun grain de sable ne fait dérailler le processus, la Roumanie devrait adhérer à l'Union Européenne en 2007. Or, avec 237.500 Km2 et près de 23 millions d'habitants, elle est de loin, après la Pologne, le plus grand pays de l'Est à rejoindre notre Communauté. Pour la France, qui après la Première Guerre mondiale, avait entretenu des rapports si proches avec cet Etat latin à la formation duquel elle avait tant contribué, la "normalisation" de la Roumanie devrait avoir un sens plus riche encore que pour les autres membres de l'Union. J'emploie à dessein le mot "normalisation", car lorsqu'on interroge Ion Iliescu sur la trace qu'il aimerait laisser dans l'histoire, il répond: avoir contribué à "normaliser" la situation de son pays après un demi-siècle de dictature fasciste, puis communiste".

Il était évident dès Décembre '89 que Ion Iliescu travaillait à son image de dissident de l'époque de Ceausescu, son ancien camarade de parti, mais j'ignorais que "normalisation" signifiait 15 années de mensonges, de corruption du haut en bas, d'affaires véreuses fabriquant l'élite politique et financière, de vies brisées ou anéanties par une précarité galopante ou par les rouages d'une justice inique, 15 années de "liberté" pour les milliers d'émigrés vers les US et vers le Canada ou partis pour travailler sur les trottoirs de la "douce France", ou dans les maisons des personnes âgées à Rome, ou dans les champs de fraises en Espagne, et contribuer ainsi à la croissance du pays lorsqu' ils envoyent l'argent par Western Union -cet autre argent que celui qui se fait en un tour de stylo et sur un coup de fil.

Je me demande à qui s'adresse ce livre. En tout cas, pas aux Roumains, il est en version française mais, sans trop vérifier, je doute qu'il existe une version roumaine, publiée en Roumanie. Sa parution en France relève de la gesticulation diplomatique et bénéficie de ses circuits spécifiques.
Mais j'ai trouvé presque blessant de voir cités dans une pareille présentation, les noms de Ionescu, Brancusi, Eliade afin que le potentiel lecteur français (intellectuel, je présume) puisse avoir quelques repères: "un peu d'histoire, avant d'arriver à la place de Ion Iliescu sur la scène politique dans les circonstances de '89".
Et voici la touche finale de l'apologie, notre ex-Président devrait se déclarer comblé:

"Au moment où j'écris ces lignes, il s'apprête donc à quitter le Palais Cotroceni. Il n'abandonne pas la politique pour autant puisqu'il redeviendra le président de son parti, lequel appartient désormais à l'Internationale socialiste. Je ne doute pas que, dans les prochaines années, Ion Iliescu continuera de rendre des services éminents à son pays comme à l'Europe".

J'ai voulu signaler ce livre à ceux de mes compatriotes, simples lecteurs citoyens ou journalistes ayant gardé un peu de colonne vertébrale et qui s'expriment où et comment ils peuvent, en demandant le procès du communisme (qui n'a jamais eu lieu) et du régime qui lui a succédé pendant 15 ans.
Mais j'ai surtout voulu remercier Monsieur Thierry de Montbrial pour cette nouvelle preuve de l'amitié franco-roumaine.

Carmen Lopez
serghie_carmen@yahoo.com

Les commentaires sont fermés.