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27/06/2024

J'ai 29 ans...

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(Photo -Nice, Le Temple de l'Amour)

Pour marquer l’anniversaire de ma belle Thèse, j’ai choisi de rechercher dans les Archives et de proposer la relecture de quelques publications traitant de ce sujet. Mais d'abord, conformément au rituel consistant à ouvrir l’exemplaire de Thèse au hasard, voici quelques considérations autour de la volonté, du libre-arbitre, de la capacité à décider selon le célèbre esprit passionné que fut Bernard de Clairvaux.

C’est le traité De Consideratione, testament spirituel écrit à l’âge de soixante ans, qui concentre une vie passée à chercher l’équilibre de l’être humain. Bernard avait compris que tout le sens de l’existence consiste à sortir du pays de la dissemblance (nous dirons du faux, de l’inauthentique, du conventionnel) pour regagner le pays de la ressemblance, royaume qui est au-dedans de l’homme; c’est donc à l’intérieur de soi-même que celui-ci doit scruter avec lucidité s’il veut réaliser sa propre humanité et sa similitude divine. Ce rapport dissemblance/ressemblance se résout harmonieusement grâce au modèle éthique dont la Passion est l’expression.  (…)

Dans la pensée de Bernard de Clairvaux (Saint Bernard) la volonté occupe une place importante. Considérée comme l’expression du "socratisme chrétien", cette pensée d’une extrême finesse psychologique fait partie d’un tableau où la connaissance de Dieu et la connaissance de soi sont inextricablement liées. La connaissance qui n’est pas en vue du salut n’est que curiosité. Or, si le nosce te ipsum (connais-toi toi-même) engendre tous les degrés d’humilité, la curiosité engendre tous les degrés d’orgueil. "Il est des clercs qui étudient par pur amour de la science : c’est une curiosité honteuse...D'autres encore étudient et vendent ensuite leur savoir pour de l’argent ou des honneurs : c’est un trafic honteux. Mais il en est aussi qui étudient pour édifier leur prochain : et c’est une œuvre de charité ; d’autres enfin pour s’édifier eux-mêmes : et c’est prudence…". Dieu a créé l’homme pour l’associer à sa béatitude, et toute l’histoire de l’homme commence avec cette libre décision. Mais pour être heureux, il faut jouir: pour jouir il faut une volonté ; la volonté ne jouit qu’en s’emparant de son objet par un acte de consentement, et consentir, c’est être libre. C’est pourquoi, en créant l’homme en vue de l’associer à sa béatitude, Dieu l’a créé doué d’une volonté libre, et c’est principalement en raison de sa liberté que l’homme est une noble créature, faite à l’image de Dieu, capable de vivre en société avec lui (le sens de la théologie de Bernard de Clairvaux est que l’homme est, par son libre arbitre, fait à l’image de Dieu, puisque c’est la seule analogie divine qu’il ne puisse perdre sans cesser par là-même d’exister).

Ce don de liberté fait par le Créateur à sa créature est un don complexe qui implique trois libertés: la dignité humaine par excellence est le libre arbitre, qui se décompose en deux éléments: le consentement arbitraire et le pouvoir d’arbitrer. Un être volontaire peut accepter ou refuser, dire oui ou non parce qu’il est doué de liberté. C’est cette liberté naturelle que l’on nomme liberté de nécessité –libertas a necessitate, et qui est propre à la créature raisonnable, en quelque état qu’elle soit. "La liberté subsiste donc, même là où la pensée est en esclavage, aussi pleine chez les méchants que chez les bons, mais chez ces derniers plus soumise à l’ordre… ".

La conscience ne s’éteint jamais dans l’homme, celui-ci est toujours capable de porter un jugement sur ses décisions. Mais consentir et juger son consentement n’est pas tout, car on peut juger le mal et choisir pourtant de le faire. Au jugement s’ajoute un "choix" et cet acte de choisir (eligere) est lui-même le résultat d’une délibération (consilium). Or, en conséquence du péché originel, nous ne sommes pas capables de choisir le bien ou d’éviter le mal, même si notre raison nous en juge capables. Il faut dire que, si le liberum arbitrium ne nous manque jamais, nous pouvons manquer, sans cesser d’être hommes, du liberum consilium. Et à supposer même que, sachant ce qui est bien, nous choisissions de le faire, nous pourrions encore manquer de force pour l’accomplir (le posse).

 

http://elargissement-ro.hautetfort.com/archive/2023/06/26/j-ai-28-ans-6449377.html

http://elargissement-ro.hautetfort.com/archive/2020/06/23...

http://myshots.hautetfort.com/archive/2015/06/25/les-plus...

 

06/02/2024

La guerre froide, comme si vous y étiez

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(Photo- Février 2024, selfie dans la vitre d'une bijouterie, Rue de la Liberté, Nice

 

 

"La lutte contre la 'désinformation' est donc aujourd'hui essentielle pour la survie même des démocraties." 

L’année 2024 marque le vingtième anniversaire de trois événements importants pour moi: le lancement de ce blog consacré à un projet professionnel lié à l’élargissement européen (un projet qui n’a pas pris la forme souhaitée initialement, faute d’un soutien institutionnel indispensable, mais une forme plus individuelle, et peut-être plus méritoire, ma microentreprise CEFRO), le diplôme de mon fils en Business Administration au College of Charleston, en Caroline du Sud, l’entrée de la Roumanie dans l’OTAN. Ce sont des événements traversés par le même fil invisible. Alors, j’aimerais parler d’un livre publié en 1986 (j’étais professeur en Roumanie), et dont l’auteur, Thierry Wolton, est un journaliste français de ma génération. Je ne connaissais pas le journaliste, mais depuis la guerre en Ukraine j’ai eu l’occasion de l’écouter sur des plateaux de télévision en France et aussi en Roumanie, où il est invité et où ses livres sont traduits. D'ailleurs, celui que je viens de lire a été traduit en roumain en 1992 et publié aux Editions Humanitas, la même maison d’édition qui invite l’auteur régulièrement, car il s’agit d’un spécialiste de l’histoire du communisme. Je crois que c’est surtout une phrase entendue récemment (La Roumanie est le seul des pays de l’Est où le KGB a vraiment réussi) qui m’a poussée à lire son livre Le KGB en France. En Roumanie, je ne connaissais que la France des lettres, c’était ma formation et ma profession, et le communisme semblait éternel. Après ’90, quand je suis arrivée en France, il m’a fallu comprendre la réalité française, avec sa vie politique, sa société, décoder et reconnaître les passerelles, car, paradoxalement, il y en avait. J’ai eu une ligne de conduite, un réflexe normal, après tout: éviter les compatriotes roumains, ce que j’ai conseillé à mon fils. Ce n’est pas de la paranoïa, loin de là. Je m’en suis tenue à mes droits en rapport avec des administrations et des institutions, rien de plus. La lecture de ce livre m’a confirmé que j’avais raison. De quoi parle donc ce livre ?  

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17/08/2023

La littérature, un témoin qui ne meurt jamais

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(Photo -Ma fenêtre à Nice)

De nouveau, ces propos que j'ai déjà eu l'occasion de citer dans des notes antérieures, mais qui me parlent beaucoup, c'est un concentré:

"Si je n'étais pas partie, il m'aurait été impossible de résister ici! Rien qu'en pensant au contact quotidien avec la réalité roumaine, je me rends compte que je deviendrais folle une seconde fois si je devais vivre dans la Roumanie d'aujourd'hui. Il y a tant d'indifférence dans ce pays, et l'indifférence de la population explique aussi tout ce qui se passe (…) La Roumanie post-communiste n'a pas enlevé tous les masques de l'horreur communiste, dont le plus perfide reste celui de la délation, et le plus terrible, celui de l'annihilation de l'intimité (...). Les Services secrets de Ceausescu n'ont pas été dissous, mais renommés SRI. Un ex-collaborateur de la Securitate peut occuper n'importe quelle fonction aujourd'hui en Roumanie ", écrivait Herta Müller dans Die Zeit (cité dans RL), en 2009.

 Le site DW publie aujourd'hui un article à l’occasion de l’anniversaire de Herta Müller, prix Nobel de littérature 2009: « Herta Müller a écrit pour les Roumains les livres qui leur manquaient », dont je résume quelques idées. Harcelée par la Securitate parce qu’elle écrivait ce qu’il ne fallait pas, elle avait été obligée de quitter la Roumanie. Elle écrit en allemand, ce qui fait d’elle un écrivain allemand. Néanmoins, sans la vie vécue en Roumanie, avec les traumatismes subis, les trahisons des amis qui l’ont dénoncée à la Securitate, les sacrifices assumés, les mensonges entendus, la peur du système qui lui a donné en même temps le courage de s’y opposer, la force de ses écrits (autobiographiques pour la plupart) n’aurait pas été aussi pénétrante. Elle a écrit sur la dictature, mais aussi sur la manière dont la majorité de la population et les institutions avaient participé au maintien du régime. Elle a su ne pas abandonner ses principes et défendre ses opinions au risque d’une sincérité qui embarrasse. Elle a refusé d’oublier, de passer l’éponge sur les humiliations et les abus vécus pendant la dictature, elle a nommé les choses, en ne permettant pas aux lecteurs d’oublier l’absurde de ce monde-là. C’est pourquoi elle a dérangé et dérange toujours l’espace public roumain. Un écrivain qui continue de rappeler que la Police politique n’est pas morte, mais qu’elle a proliféré, en créant un capitalisme de clan et de clientélisme joyeux et insouciant, cet écrivain ne pourrait être commode pour une société qui préfère fermer les yeux et se laisser diriger par les successeurs des anciens abuseurs, justement parce qu'il rappelle ce que la majorité intellectuelle souhaite oublier ou plutôt camoufler. Sa traductrice en roumain, Corina Bernic, observe que ce qui en Roumanie a été considéré comme une atteinte au sentiment national de la part de Herta Müller, est en vérité, au contraire, une preuve d’amour et de regret, car vous ne critiquez que ce qui vous intéresse, ce que vous pensez être réparable. Autrement, vous restez indifférent et vous ne vous retournez plus sur le passé. Herta Müller n’a jamais cessé d’interroger le passé.

J’ai lu l’article de DW sur Facebook et j’ai laissé un commentaire, en citant les mots de Herta Müller en 2009, et qui figuraient dans une note sur ce blog. Un bon Roumain m’a injuriée, moi, "avec la Juive Herta". Je l’ai bloqué, la moindre des choses. Mais c’est un détail révélateur. Derrière l’écran, on peut plus facilement déverser sa haine. Et il y a de la haine, beaucoup de haine, si vous touchez le point névralgique de la complicité.

A propos de la haine de la Police politique de la dictature, viscérale car liée au sentiment national et à l’idéologie, je viens de lire un roman de l’auteur danois Michael Katz Krefeld (« Savnet », 2014/ « Disparu », Actes Sud, 2020) qui retrace les derniers jours de la Stasi, avant la chute du Mur, et leur écho vingt-quatre ans après, quand on découvre que beaucoup de familles s’étaient volatilisées lors de ces événements-là. Un colonel de la Stasi et son obsession perverse pour une famille mise sous surveillance, ou de la haine à l’état pur. C’est une œuvre de fiction, oui, mais les méthodes, les techniques du colonel et de l’appareil, c’est la réalité, et peut-être en dessous de la réalité. Pour un lecteur qui a connu le régime totalitaire et sa police, le souvenir des atrocités commises à l’époque de la Stasi (ou de la Securitate ou du KGB) a un effet différent que pour un lecteur occidental, lequel lecteur pourrait flirter avec les principes communistes ou avec le "pacifisme" à n’importe quel prix, ce que l'on voit à propos de l'invasion russe en Ukraine. Cela dit, la littérature reste la meilleure thérapie, comme je l’ai souvent écrit dans les notes publiées sur CEFRO (http://www.cefro.pro/archive/2023/07/25/la-litterature-to...

27/06/2023

J'ai 28 ans...

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(Photo- Thèse

 

C’est l’anniversaire de ma belle Thèse, laquelle n’a pas été qu’une simple Thèse, sinon je n’en parlerais pas, car il existe des millions de Doctorats. Elle a été l’élément autour duquel s’est construit mon parcours depuis 1995, entre la Roumanie et la France, mais pas dans ce sens normal, que le titulaire d’un tel diplôme serait en droit d’espérer. Ce fut, en définitive, le parcours du héros (dans ce cas précis, de l’héroïne), c'est-à-dire un roman…J'y ai défendu une vision personnelle du récit, de la construction et de l'identité du Sujet. Le résultat avait été Très Honorable à la Majorité. Il ne m'a servi à rien, sinon à résister en France, en conservant l'estime de soi - le meilleur rempart qui soit (si, quand même, en tant que dirigeante de CEFRO et organisatrice de cours européens, j'ai pu apposer ma signature Docteur ès lettres sur des documents). Le 27 juin 1995, à 14 h 30, j'étais assise à une petite table devant le Jury universitaire dans la Salle du conseil de la Faculté des lettres, salle comble, d'ailleurs. Ce jour-là, j'ignorais que ce que j'avais défendu pendant quatre heures allait être du vécu, en quelque sorte. J'étais satisfaite après un énorme travail, et aussi que mon approche fût appréciée et reconnue comme particulièrement neuve.
Heureusement ou non, l'identité du Sujet est bien plus qu'une identité nationale.

Alors, comme chaque année, je prends sur l'étagère de ma bibliothèque l’exemplaire de 453 pages (que j'ai tapé toute seule sur un ordinateur qui m'avait été prêté), je l’ouvre au hasard et lis un peu. 

Je m'arrête à une certaine idée, celle de l’Ethos immanent dans la structure de notre psyché. Il y a dix ans, j’ai lu la Conférence sur l’éthique que Wittgenstein avait présentée devant un public de non-philosophes (j’ai aussi écrit une petite note sur ce blog, en 2013). Wittgenstein dit que l’éthique ne saurait être une théorie, mais qu’elle a un caractère intrinsèquement personnel, et pour cela elle se pense toujours dans un contexte et dans des pratiques déterminées. L'analyse détaillée des aspects physiques et psychologiques de nos actions ne nous révélera jamais ce qui les lie à l'éthique, mais c'est notre attitude vis-à-vis de ces actions qui les rend éthiques, plus exactement la manière dont nous arrivons à nous extraire des faits pour les contempler comme d'un point de vue extérieur. Il dit, par exemple, que lorsque quelqu'un face à une décision importante se demande "Que dois-je faire?", le sérieux de cette question est "éthique" parce qu'il se distingue d'autres types de choix. Donc, l'éthique est dans l'attitude du sujet qui expérimente et qui éprouve. Le monde de l'homme heureux n'est pas le même que le monde de l'homme malheureux, bien que les faits qui le constituent soient identiques, c'est le regard qui change, la volonté à l'égard de ce monde qui est différente, mais pas le monde lui-même. En voulant exprimer l'inexprimable (tout comme la religion ou l'esthétique), l'éthique se confronte aux limites du langage, elle ne peut pas s'énoncer sous la forme de propositions douées de sens, mais elle peut se montrer à travers des expériences qui la révèlent dans son authenticité.

Encore une fois, c'est une histoire de sujet (je dirais de sujet singulier). J’aime aussi Wittgenstein parce qu’il ne méprise pas cette littérature "mineure" (les polars), où il dit trouver des exemples d'expériences éthiques souvent plus profondes que celles présentes dans les ouvrages de philosophie. Aujourd'hui, comme nous constatons, l'intelligence artificielle est capable de remplacer tout à fait l'humain dans bien des domaines, y compris dans celui de la rédaction de contenus. A partir de mots-clés, un robot dernière génération peut nous offrir un texte parfaitement rédigé: une description, une publicité, et pourquoi pas un article d'information, à la place du journaliste. Et c’est Wittgenstein qui observait déjà où serait le vrai danger de ce progrès: "Nous ne devons pas craindre que nos machines nous dépossèdent de la pensée -mais peut-être avoir peur qu'elles ne nous incitent à cesser de penser par nous-mêmes. Ce qui leur manque, ce n'est pas la puissance de calcul, mais l'animalité. Le désir et la souffrance, l'espoir et la frustration sont les racines de la pensée, pas le calcul mécanique". 

Dans ce bref PDF, quelques extraits de mon travail de 1995 (à l’époque, je n’avais pas encore lu Wittgenstein), autour de l’éthique. L’homme est sa propre providence, de lui seul dépendent son sort essentiel, sa joie ou son angoisse de vivre. Son rapport au monde, qui s’exprime en termes de plaisir et de quête de la jouissance, est réglé par une instance sur-consciente, une justice immanente, qui est créatrice de toutes les images métaphysiques, de toutes les divinités (juges de la conduite humaine) que l’esprit humain a engendrées, de l’animisme au monothéisme. Déchiffrer les sens profonds derrière les mythes, c’est accéder aux vérités du fonctionnement psychique que seule la pensée symbolique peut exprimer, parce qu’elle est fondée sur l’analogie et l’intuition. La symbolique compare analogiquement les combats intra-psychiques avec les combats extérieurs. Et dans cette perspective, l’amour courtois est un effort unique de symbolisation pour sublimer la violence des mœurs par le discours poétique. Un exemple d’aptitude à la civilisation.