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04/12/2024

La Roumanie au bord du gouffre

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(Photo- Greenville, SC, novembre 2024)

Dans une note antérieure à mon voyage aux Etats-Unis, j’énumérais les principaux candidats à l’élection présidentielle 2024 et j’en retenais quatre: le vendeur de bretzels, la pasionaria, le général, le diplomate indépendant, le souverainiste basique. Il y en avait d’autres candidats, mais ces quatre-là étaient les principaux, soit des chefs de formations politiques, soit des membres du gouvernement. Le premier tour a eu lieu en novembre, je me trouvais en Caroline du Sud, où j’essayais de profiter des rares et précieux moments passés dans la famille de mon fils (la dernière fois, c’était il y a trois ans, c’est long quand on ne peut se voir et se parler qu’en vidéo). Je n’ai donc pas voté au premier tour, de toute manière, quel choix… ?

Mais voilà la surprise de taille, le « séisme », comme le qualifie la presse internationale à juste titre : un candidat indépendant dont personne n’était au courant, Calin Georgescu, est arrivé en tête avec plus de 22% des voix, la pasionaria étant deuxième, avec 19%. Le candidat, qui a fait sa campagne sur TikTok (cherchez les fonds...), n’est même pas ce que j’appelle le souverainiste basique (comme j’écrivais précédemment, en pensant à George Simion, le chef de l’Alliance pour l’Unité des Roumains (AUR). C’est un extrémiste ultra-nationaliste, un anti européen et anti Otan, un admirateur de « la sagesse russe, celle qui convient le mieux à la Roumanie » et de l’idéologie du Kremlin, un pro-Poutine, un imposteur intellectuel, un mystique sinistre, un charlatan, un cas clinique de délirant messianique. Son origine est dans l’ancienne Securitate. Il a d’ailleurs occupé des postes sans importance dans divers organismes roumains sur le plan international et qu’il présente comme une carrière diplomatique pour donner de la crédibilité à ses élucubrations dans tous les domaines possibles et inimaginables. Il a un certain charisme de guru qui s’adresse à un segment de la population déçue (bon, nous sommes tous déçus, mais de là, à voter pour un individu qui va nous ramener aux années de l’époque Ceausescu, sinon avant, car il est un sympathisant de la Légion - la Garde de Fer, le Capitaine, etc.-, il y a de la marge).  

Pour la première fois depuis trente-cinq ans, j’ai peur. Le délirant (mais comment est-il arrivé en tête ?!) promet une Roumanie nettoyée des multinationales présentes, la nationalisation, etc. Son idée phare: « nous vivrons de ce que nous produirons ». Une Roumanie indépendante et souveraine, quoi! La bourse des valeurs a déjà chuté et tout va suivre comme dans un jeu de dominos. L’effet du premier tour est qu’aucune banque ne finance plus la Roumanie, l’Etat a pris six milliards d’euros dans sa réserve pour assurer les salaires et les retraites ce mois-ci.

Je vote dans trois jours, évidemment pour la pasionaria (Elena Lasconi), un vote par défaut. Espérons que les efforts de ces Roumains lucides qui ont eu la patience de démonter le soi-disant "argumentaire" du candidat Calin Georgescu, d'analyser ses aberrations et de tirer un signal d'alarme avant la dernière heure auront un écho auprès de la population dupée. Néanmoins, quelle confiance en un pays où des millions et des millions votent pour de telles idées? « Un pays au noir », comme dit un journaliste.  

Mise à jour. Quelques heures avant le deuxième tour, la Cour Constitutionnelle décide d'annuler les élections présidentielles, de reporter le processus électoral pour 2025 (mars probablement). C'est une décision sans précédent en Europe, la preuve que les choses sont très graves. 

12/01/2022

Les narratifs de l'extrémisme

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(Mes photos - L'autoroute à huit bandes vers Atlanta. Décembre 2021)

J'ai voulu partager un article de l'historien Madalin Hodor en lui donnant une version en français:

"Ce qui se cache derrière les narratifs de l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR). Ce n’est pas une plaisanterie, mais un danger"

Vous trouverez le texte d'origine ici:  https://revista22.ro/opinii/madalin-hodor/pericolul-aur-nu-e-o-gluma-ce-se-ascunde-in-spatele-narativelor-sale  

"L’existence des extrêmes dans une société démocratique est toujours le signe que les choses ne vont pas bien. Les extrêmes sont comme les symptômes de la maladie. Plus leurs messages sont fréquents, plus le discours haineux est présent, et plus l’antisémitisme, l’homophobie, la xénophobie font leur place dans l’espace public. La démocratie est en train de tomber malade. Il est très peu probable que les manifestations extrémistes disparaissent à l’avenir, puisque nous vivons dans un monde qui doit faire face à de nouveaux défis et où les individus se radicalisent facilement, en rapport direct avec l’extension des moyens de communication et des réseaux sociaux. Néanmoins, que ces manifestations demeurent marginales et exceptionnelles, c’est une chose, et qu’elles prennent une forme politique organisée, c’en est une autre. L’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR) est le véhicule d’un tel extrémisme.   

Issu apparemment de nulle part et créant la surprise, le parti politique de Simion et de Târziu a réussi, en moins d’une année, à obtenir un score électoral invraisemblable dans les sondages. Il dépasse l’USR (Union sauvez la Roumanie), et apparemment le PNL (Parti national libéral), surtout après les luttes intestines qui ont récemment déchiré les libéraux. Le PSD (Parti social-démocrate) jouit encore d’une position confortable, mais peut-être pas pour longtemps, vu que l’Alliance élargit son bassin d’électeurs. Son dirigeant, M. Ciolacu, ne manquera pas de s’apercevoir que faire double jeu n’est pas toujours gagnant. Il n’aura, d’ailleurs qu’à regarder de plus près l’histoire de l’entre-deux-guerres.  

Pendant que certains commentateurs parlent (souvent avec admiration) des habiletés  de communication, de la propagande et de la manière dont les leaders AUR savent profiter des erreurs de nos gouvernants, beaucoup moins nombreux sont ceux qui s’inquiètent de leur discours antisémite, de leurs nostalgies assumées pour l’époque Ceausescu, de leur militantisme anti-européen et de leur populisme débridé. En plus, pour ces « problèmes mineurs », ils ne sont pas pris au sérieux et sont regardés avec condescendance. De l’antisémitisme ? Mais vous exagérez, c’est juste des paroles. Après tout, il n’existe pas d’antisémitisme en Roumanie. Si l’on y réfléchit, on n’a jamais eu d’antisémitisme en Roumanie. Quand on leur pose directement la question s’ils ont des sympathies pour les légionnaires ou s’ils sont antisémites, les leaders AUR s’esquivent : soit ils nient farouchement, en invoquant tout de suite les libertés individuelles et la démocratie, soit ils prennent un air étonné ou amusé, en essayant de minimiser le sujet. Ceux qui les accusent reçoivent des colis contenant des calmants, et tout cela fait le délice de leurs fans et supporters sur Facebook.

En plus, il y a un dilemme. Comment aborder ce genre de sujet ? Ecrire sur l’Alliance reviendrait à lui accorder de l’importance, ou à lui donner une tribune, mais d’autre part, ignorer sciemment un réel danger n’est pas la meilleure idée non plus. En fait, il ne s’agit en aucun cas d’une plaisanterie, et cela parce que ce rien de ce que disent et font les leaders AUR n’est nouveau. C’est une reprise de problèmes et de thèmes anciens. Et c’est bien là le problème : le ferment, le sol où l’Alliance a pris racine.

Son sol, elle l’a reçu en héritage du communisme, plus exactement du nationalisme-communisme de l’époque Ceausescu, laquelle époque avait réalisé un mélange spécifique des symboles et de l’idéologie nationaliste légionnaire et de la variante « patriotique » du communisme de type roumain. Ceausescu voulait se situer dans la lignée des princes roumains, à commencer par le chef Burebista (d’où l’exaltation des origines daces, l’un des filons ayant alimenté l’Alliance), et cette lignée regardait avec espoir la formation de l’ethnocentrisme roumain et sa victoire sur les étrangers. L’ Occidental (l’étranger ennemi) et l’Occident étaient les ennemis par excellence du régime Ceausescu, dont la propagande disait exactement la même chose que celle de l’Alliance aujourd'hui. Le seul intérêt des Occidentaux est d’asservir les Roumains et de maintenir le pays dans un état de sous-développement économique, afin d’exploiter ses ressources. Vous reconnaissez le discours ? Eh bien, oui, c’est le même.

C’est un narratif utilisé par l’Alliance pour l’unité des Roumains. Sauf que ses leaders, qui se présentent comme des anticommunistes farouches (G.Simion fait beaucoup de cas de son Master dans l’histoire du communisme) ne précisent pas où ils sont allés le chercher. Nous voilà, bien sûr, devant une source d’inspiration qui a été stylisée et ramenée dans l’actualité. Ceausescu combattait l’Occident en construisant des usines, en remboursant la dette et en poussant à plus d’économie et à plus de travail, tandis que Simion déplore le fait que la Roumanie ait détruit les fabriques construites pendant le communisme, et qu’elle soit devenue un marché pour toutes les ordures de l’UE. Les impérialistes occidentaux de Ceausescu ont changé de nom, ils s’appellent aujourd'hui l’Union Européenne, que les leaders AUR considèrent comme une dictature économique, sociale, et pourquoi pas, sexuelle. Une dictature dont le but est d’anéantir tout ce qui est roumain : le costume traditionnel, la langue, la religion.

Néanmoins, ce serait une erreur de croire que l’Alliance ne possède que ce seul narratif, bien au contraire, elle est un mélange de narratifs, et c’est d’ailleurs ce qui explique son impact sur l’électorat. Ses leaders ne voient aucun problème à utiliser les nostalgies pour l’époque Ceausescu d’un pays qui était hier une grande puissance dans la même phrase qui condamne le communisme. Ce qui fait d’ailleurs de Simion et des autres un vrai danger, c’est le populisme sans limite. L’Alliance, qui n’a absolument aucun programme politique, à part des généralités et des slogans, a une seule stratégie : celle de dire à tous ce qu’ils veulent entendre et de tout leur promettre. Une parfaite démagogie adaptée à l’électorat actuel.

Par exemple, quand ils exhibent les nostalgies pour l’époque Ceausescu et mettent une touche noire sur l’UE, ils ciblent également l’électorat plus âgé, qui ne s’est jamais adapté aux réalités après 1990, et la Diaspora, qui éprouve du ressentiment à l'égard de sa situation. L’Alliance a réussi la performance de dépasser l’USR (qui avait déjà compris l’importance de l’électorat vivant à l’étranger) et de s’attirer la majorité de cet électorat formé de gens de condition modeste, et qui s'étaient expatriés en l’absence de possibilités en Roumanie. Elle leur vend donc un narratif qui répond à leurs frustrations.

Comme j’expliquais, l’Alliance ratisse large dans les sédiments de la société roumaine des trente dernières années, mais d’abord dans ces zones-là, où Vadim Tudor et le PPDD avaient trouvé des voix, et où d’autres tentatives de récupération politique avaient plus ou moins réussi.

Bien entendu, ils ne sont pas les premiers antisémites, ni les premiers nationalistes. Ces deux ingrédients ont été toujours là, dans la société roumaine sortie brusquement et brutalement du communisme avec une vitesse qui n’a pas laissé de place à une analyse basique de ce qui avait existé auparavant. Valeurs et idées se sont combinées en un mélange toxique, dans lequel la résistance anticommuniste a été associée à certaines figures notoires du mouvement légionnaire, le nationalisme est resté sur les mêmes fondements formulés par Ceausescu, en devenant forcément un combat contre l’ennemi de l’intérieur, et l’antisémitisme quelque chose qui était accepté tacitement et de façon complice, telle une croyance secrète impossible à manifester publiquement, par peur. 

Pour comprendre à quel point l’antisémitisme des leaders AUR est bien réel, il faut comprendre qu’il ne se limite pas à la formation politique telle quelle, mais qu’il est également partagé, sous des formes variées, par des hommes politiques venant de zones fréquentables - des personnes de l’Administration, de l’Armée, des Services, des formateurs d’opinion. Ils sont nombreux ceux qui soutiennent l’Alliance dans l’ombre, qui ont accroché au mur le portrait du Maréchal Antonescu, et qui admirent secrètement l’audace de Simion, Târziu ou Calin Georgescu d’être antisémites à visage découvert.

Je crois que l’Alliance, par l’agenda qu’elle affiche et par ses actions amplifiées dans le contexte de la pandémie et qui deviendront plus violentes et virulentes, représente à l’heure actuelle l’une des principales menaces pour la démocratie en Roumanie. Je crois aussi qu’il faut prendre cette menace au sérieux. Cela serait possible d’autant plus que l’Alliance nous dit elle-même quels sont les problèmes et les vulnérabilités de la société. Si nous faisons l’effort d’écouter et de résoudre les problèmes de l’exclusion sociale, de l’éducation insuffisante, si les autorités cessent de gérer chaotiquement la pandémie, si les hommes politiques prennent leurs responsabilités et si la société civile sort de son engourdissement, nous pourrons arrêter la vague de l’extrémisme et du populisme.

Et cela, même avant de nous poser la question si les leaders AUR parlent sérieusement."

 

 

 

20/05/2014

Les enjeux des élections européennes pour la Roumanie

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Update 25. Le FN en France réussit à l'emporter haut la main: 25% (28,8% dans la région où j'habite..). Première tâche qu'il se propose: "former un groupe au PE et bloquer le TTIP", affirme l'un de ses dirigeants. "La France étonne le monde", continue-t-il avec fierté nationale, et j'écoute paralysée ce discours, même si je m'attendais à la victoire du FN, bien sûr.  

                                     ***

(Mes photos: Carrousel jardin Albert 1er à Nice)

 

 

Vue de France, où je m'efforce de vivre et de travailler depuis bientôt 22 ans, et où je vote avec ce qu'il me reste de conviction (aux municipales et aux européennes..), l'analyse de mon compatriote journaliste à propos des prochaines élections (l'importance pour la Roumanie, la relation avec les US, la relation avec la Russie, la montée de l'extrémisme et de la xénophobie en Europe) me paraît juste. Quelques extraits plus loin.

 

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