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15/03/2017

Relecture


DSC_3045.JPG(Mes photos- Paris au mois de mars)

Il m’arrive, plutôt rarement, d’être d’humeur Cioran. Quand je suis venue à Nice à l'Université d'été, en 1990, j'ai emporté dans mes bagages Sur les cimes du désespoir. Bien entendu, je ne l'ai pas ouvert, j'avais tout le temps à mon retour.. En octobre 2005 j’ai trouvé Ebauches de vertige chez Virgin, et, comme toujours lorsque je m’offre un livre, j’ai noté sur la page de garde quelques mots disant qu'il n'était pas recommandé de fréquenter assidûment l'auteur, car gris foncé, presque noir, même si parfois cela pouvait aider à maintenir une certaine distance envers ce qui compte ici-bas. Si je suis d’humeur Cioran aujourd'hui, ce n'est pas pour des raisons hautement philosophiques, mais simplement sociales, et ces réflexions-ci m’ont parlé plus que d’autres (avec une préférence pour l'axiome qui dit ce qu’il faut pour qu’une nation compte..). 


« Le vrai Messie ne surgira, dit-on, qu’au milieu d’un monde entièrement juste ou entièrement coupable. La seconde éventualité méritant seule considération, puisqu’elle est presque en vue et qu’elle s’accorde si bien avec ce qu’on sait de l’avenir, le Messie a toutes les chances de se produire enfin et de répondre ainsi moins à une très vieille attente qu’à une très vieille appréhension. »

« Quiconque parle le langage de l’utopie m’est plus étranger qu’un reptile d’un autre ère. »

« Plus on progresse dans l’âge, plus on court après les honneurs. Peut-être même la vanité n’est-elle jamais plus active qu’aux approches de la tombe. On s’agrippe à des riens pour ne pas s’aviser de ce qu’ils recouvrent, on trompe le néant par quelque chose de plus mal encore. »

« Je me permets de prier pour vous. » - « Je le veux bien. Mais qui vous écoutera ? »

« S’employer à guérir quelqu’un d’un vice, de ce qu’il possède de plus profond, c’est attenter à son être, et c’est bien ainsi qu’il l’entend lui-même, puisqu’il ne vous pardonnera jamais d’avoir voulu qu’il se détruise à votre façon et non à la sienne. »

« Celui qui, ayant fréquenté les hommes, se fait la moindre illusion sur eux, devrait être condamné à se réincarner, pour apprendre à observer, à voir, pour se mettre un peu à la page. »

« Chacun a le droit de s’attribuer l’ascendance qui lui convient, et qui l’explique à ses propres yeux. Que de fois n’ai-je pas changé d’ancêtres ! »

« L’amitié est un pacte, une convention. Deux êtres s’engagent tacitement à ne jamais claironner ce que chacun au fond pense de l’autre. Une espèce d’alliance à base de ménagements. Quand l’un d’eux signale publiquement les défauts de l’autre, le pacte est dénoncé, l’alliance rompue. Aucune amitié ne dure si l’un des partenaires cesse de jouer le jeu. En d’autres termes, aucune amitié ne supporte une dose exagérée de franchise. »

« Prendre parti ou y répugner, épouser une doctrine ou les rejeter toutes en bloc –un égal orgueil dans les deux cas, avec cette différence qu’on risque d’avoir à rougir de soi beaucoup plus dans le premier cas que dans le second, la conviction étant à l’origine d’à peu près tous les égarements, comme de toutes les humiliations. »

« Mourir à soixante ou à quatre-vingts ans est plus dur qu’à dix ou à trente. L’accoutumance à la vie, voilà le hic. Car la vie est un vice. Le plus grand qui soit. Ce qui explique pourquoi on a tant de peine à s’en débarrasser. » 

« Il n’est rien de plus mystérieux que le destin d’un corps. »

« C’est une terrible mortification mais supportable tout de même, que d’être né au milieu d’un peuple qui ne fera jamais parler de lui. »

« L’espoir est la forme normale du délire. »

« Tout projet est une forme camouflée d’esclavage. »

« Pour qu’une nation compte, il faut que la moyenne en soit bonne. Ce qu’on appelle civilisation ou simplement société n’est rien d’autre que la qualité excellente des médiocres qui la composent. »

« Novalis : "Il dépend de nous que le monde soit conforme à notre volonté." C’est là exactement le contraire de tout ce qu’on peut penser et ressentir au bout d’une vie, et, à plus forte raison, au bout de l’histoire… »

« Nous sommes déterminés mais nous ne sommes pas des automates. Nous sommes plus ou moins libres à l’intérieur d’une fatalité…imparfaite. Nos conflits avec les autres et avec nous-mêmes ouvrent une brèche dans notre geôle, et il est très vrai qu’il existe des degrés de liberté, comme il existe des degrés de pourriture. »

« Je n’ai jamais pu savoir ce que être veut dire, sauf parfois en des moments éminemment non philosophiques. »

 

E.M.Cioran, Ebauches de vertige (extrait d'Ecartèlement), Gallimard, 2004

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