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28/09/2006

Très cher papa,

"Tu sais, n'est-ce pas, que pour moi, notre entrée dans l'UE coïncide dans quelques mois avec le renouvellement de ma carte de résidente en France  -et oui, dix ans déjà. Tu te souviens aussi que maman a failli avoir une attaque lorsque je vous avais fait connaître ma décision. Et ton expression prophétique, "ramper comme un serpent", s'est avérée juste. Je sais bien que, dans ta vision des choses, je n'ai pas exactement réussi. Enfin, selon les critères de la réussite unanimement acceptée chez nous (et ici aussi). Toutes ces gens-là, que tu aidais avec tes conseils et pour qui tu rédigeais des statuts de sociétés, ou que tu représentais au Tribunal pour des affaires d'argent, de contentieux,  - ces gens-là ont prospéré, ont grossi. A mon avis, ils se sont avachis (j'en ai rencontré un cet été, tu l'aimais bien, tu l'avais voulu comme gendre à une époque, il est sénateur et ne sait plus où investir son argent..). Bien sûr, ils ont de belles villas, roulent dans de belles voitures, ont des comptes bien garnis, vivent plus que décemment... Pourtant, tu sais comment ils y sont arrivés... Et parfois, parce que tu étais désespéré à cause de moi, il t'arrivait de me les donner pour exemple...
Je te comprends, mais tu sais, je préfère me passer dans la mémoire le film des années '80. Tous dans une galère commune, on jouait un jeu idiot qui paraissait éternel, comme l'idéologie en place. Paradoxalement, le fait d'être des complices solidaires rendait l'existence par endroits plus supportable qu'elle ne l'est aujourd'hui (pas pour tous...). Tu passais chaque dimanche matin à la maison, tu me trouvais toujours dans la cuisine, en train de préparer des plats pour la semaine, et à écouter en sourdine à la radio le poste interdit "Free Europe". Je te proposais le petit café rituel, et on commençait à parler politique, à refaire le monde...Ces moments me manquent énormément, surtout maintenant. Tu serais amusé de voir nos frais Eurodéputés, qui ne parlent bien aucune langue, sauf la langue de bois (tu as raison, ils n'ont pas besoin d'une autre). Bien sûr que j'ai hérité de ta révolte contre la bêtise et l'injustice, seulement, moi, je me suis vue obligée de calquer mon destin dessus. Il y a quelques années, tu m'as dit avec une amertume résignée: "Tu aimes les choses difficiles, ma fille...". Ce sont elles qui m'aiment aussi, papa.
Je suis sûre qu'aujourd'hui tu vois les choses différemment. Ta résignation a dû se transformer en acceptation joyeuse (c'est l'alchimie de l'esprit, maintenant tu dois connaître pour de vrai cette théorie-là, sur le désir essentiel...).
Je sais que tu seras toujours présent, et que tu ne tarderas jamais à me souffler les bonnes réponses (oui, tu as voulu que je fasse du droit, et pas de lettres, mais, tu vois, je me suis parfois débrouillée tout aussi bien qu'un spécialiste).
J'espère pouvoir venir en Roumanie le plutôt posible te dire bonjour et arroser la plante, il paraît que tu l'aimes beaucoup et qu'elle s'y plaît! 
Tu sais, n'est-ce pas, que dans quelques mois, tu auras une arrière-petite-fille qui devra se montrer travailleuse, car elle devra parler également le roumain et l'anglais.
Essaie d'être en paix!
Ta fille qui t'aime, Carmenouch.
P.S. Tu vois qu'à Bucarest, en ce moment, il y a le Sommet de la Francophonie, n'est-ce pas? Non, je ne peux te dire exactement à quoi cela sert, j'ai lu que le thème portait sur la société de l'information et sur l'éducation... Ambitieux, tu ne trouves pas?"

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