08/02/2022
Illogique et impossible
(Mes photos - Le Danube à Galati, août 2005)
En juillet 2020, en pleine pandémie et au lendemain du sommet historique de l’UE, j’écrivais ici la note « Ce pactole européen qui va partir en fumée ». Je rappelle ce texte d‘il y a deux ans, car la situation en Roumanie ayant empiré après des mois de crise politique, de luttes internes, de coups bas entre les leaders des partis au gouvernement, de compromis lamentables et inefficaces, il ne fait aucun doute que le pactole européen (le fameux plan de résilience et de redressement) va partir en fumée. Je disais que les bonnes intentions exprimées par le Président Iohannis ne pouvaient pas être mises en doute (ne serait-ce que parce que c'est le Président qui parle) : les presque 80 milliards d’euros obtenus par la Roumanie seraient destinés à des travaux d’infrastructure, de modernisation de systèmes publics, à la construction d’hôpitaux et d’écoles. Ce serait le plan de relance économique post-pandémie.
« C’est un jour important pour la Roumanie, un jour important pour le projet européen, et nous allons avancer, cet argent devra être utilisé à la reconstruction de la Roumanie. »
Mais c'est une simple déclaration officielle qui n’engage personne. On connaît la réalité: le pays est le résultat de trente années de pillage, de corruption et d’incompétence institutionnalisée, d'émigration. Avec un Etat de droit qui n’en est pas un, avec un maillage clientéliste au niveau de toutes les structures administratives, avec l’argent public siphonné par les réseaux mafieux et les intérêts des partis politiques, il est tout simplement illogique de croire qu'un renversement de situation serait possible. Autrement dit, nous avons besoin d’une stratégie, ce que la Roumanie n’a jamais eu (enfin, à part la l’édification du communisme...). Il est vrai que l’UE traverse la plus grande crise depuis sa création, et que l’accord trouvé après d’âpres négociations est unique car, pour la première fois dans son histoire, l’UE s’endette collectivement : une enveloppe globale de 750 milliards d’euros, dont 390 non-remboursables et 360 de prêts. Mais souvenons-nous que la Roumanie se distingue entre tous par la plus faible capacité d’absorption des fonds européens. Elle n’avance pas de projets pour accéder aux fonds, son système mafieux spécifique fait que les responsables politiques, administratifs, etc., ont leurs propres business et des contrats avec l’Etat. Alors, faire de grands projets d’investissements publics, d’infrastructure, n’intéresse personne. Tout se concentre autour du jeu politique qui doit profiter au maximum au système mafieux complexe. Celui-ci ne pourra être démantelé, c’est impossible. Il peut exister, par-ci par-là, dans tel ou tel ministère, de rares personnes honnêtes ayant un cursus international, mais en vérité, elles sont impuissantes, et finalement elles seront remplacées ou elles jetteront l’éponge. Le manque de compétences est un aspect presque tabou en Roumanie, normalement on devrait en avoir honte, si l’on est lucide. Et quand on est compétent, on est broyé par le système qui est le plus fort, cela va de soi. Le plus triste, c’est la fraude intellectuelle qui prospère justement parce que les compétences réelles sont absentes. Bien entendu, la Roumanie va se débrouiller pour monter certains projets et accéder à une partie des fonds disponibles dès l’automne (pour le plan de relance post-pandémie). Que va-t-elle en faire?
En principe, cela devra se passer d’après un schéma bien connu, comme je l’écrivais dans une note en 2008 (le fait que l’on se trouve, plus de douze ans après, dans un plus grand désastre, ne changera pas le mécanisme, peut-être que les 5% de commission deviendront 10%). « La Mafia des fonds européens vole l'argent des agriculteurs : l’accès aux fonds européens est filtré par une Mafia composée justement de fonctionnaires habilités à aider les investisseurs dans le montage des projets et dans l'obtention des subventions. Ces mafieux exigent un pourcentage de 5% des fonds débloqués. Ils proposent "du conseil" dans la rédaction et la validation du dossier. Voici plus loin le cas d'un haut fonctionnaire de l'Agence des Paiements et des Interventions pour les Agriculteurs (APIA), institution qui joue un rôle déterminant dans l'approche des fonds européens. (...) APIA est une institution mammouth qui comprend une armée de fonctionnaires grassement payés (des salaires en milliers d'euros) et qui n'ont toujours pas réussi à faire les démarches nécessaires pour recevoir les fonds UE (...).»
Dans les premières années qui ont suivi son adhésion, la Roumanie a produit une mafia des fonds européens, et des sommes colossales ont été détournées. (Dans les Archives de ce blog on pourra trouver plusieurs articles consacrés au sujet inépuisable des fonds européens, en tapant un mot-clé dans la case Rechercher, par exemple "fonds UE".) Avec le temps, l’UE a mis en place des mécanismes de vérification qui ont fait diminuer l’intérêt pour les programmes européens financés, étant donné qu'on ne pouvait plus frauder aussi facilement. Alors, on s’est tourné vers la combine des partenariats bilatéraux, tout le monde y étant gagnant, moins le pays dans l'ensemble, qui, lui, a continué de s’enfoncer, moins les citoyens ordinaires qui, eux, ont trouvé la solution de l’émigration.
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30/10/2021
En Roumanie
Au moment où j’écris cette note, et à mon retour d’un très court voyage en Roumanie, le pays n’est toujours pas sorti de la crise politique provoquée par un enchaînement de sottise et de confrontation d’orgueils, et qui a mené à un emballement bête et méchant. Pour couronner le tout, l’épidémie de Covid a repris de plus belle. Je suis allée dans ma ville, au bord du Danube, et l’automne roumain, clément car je venais de loin pour la première fois depuis 2017, m’a réservé quelques journées ensoleillées, aux couleurs et aux parfums que j’avais oubliés. Je me suis détachée de l’actualité, en acceptant les gens et les choses avec philosophie : oui, la Roumanie reste différente (c’est le terme politiquement correct utilisé pour désigner le handicap). J’ai pris des photos que j’ai publiées dans un Album sur Facebook, « Galatzi, octobre 2021 » https://www.facebook.com/media/set/?set=a.101587065656086... .
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30/09/2021
Les envies paléolithiques
(Crédit photo Claudiu N. -L'Atlantique, Caroline du Sud)
« Nous avons une meute d’oligarques en politique dont le seul idéal est de faire tomber l’autre, de voler l’autre. Je suis dégoûtée, écoeurée, mais je n’ai pas où aller.» (La Reine Marie de Roumanie, Journal de guerre, 1917)
Rien n’a changé depuis. Bien sûr, il y a quelques explications historiques, mais aussi une explication philosophique, fondamentale: "ethos anthropou daïmon" -le caractère d'un homme est son destin, disaient les Grecs anciens. A cette merveilleuse époque, on avait compris que, si la vertu venait du caractère et non du savoir, elle pouvait se trouver chez l'humble et être absente chez le puissant. Or, en Roumanie, les caractères ont toujours fait défaut, à toute époque, et de là, son destin.
L’humanité se divise en quatre grandes catégories, écrit Carlo.M.Cipolla dans son livre Les Lois fondamentales de la stupidité humaine : les crétins, les gens intelligents, les bandits, les êtres stupides, mais "l'individu stupide est le type d'individu le plus dangereux", plus que le bandit. Aujourd'hui, en Roumanie, il y a simplement très peu de gens intelligents, les trois autres catégories étant majoritaires. Et encore parmi ces trois, les stupides sont les plus nombreux. "Est stupide celui qui entraîne une perte pour un autre individu ou pour un groupe d'autres individus, tout en n'en tirant lui-même aucun bénéfice et en s'infligeant éventuellement des pertes."(La troisième Loi fondamentale)
C'est ce à quoi nous assistons en ce moment: une scission entre les partis de la coalition de gouvernement, une compétition pour déposer des motions de censure (l'outil démocratique que le politiciens roumains affectionnent, c'est leur jouet préféré, ils s'en servent pour s'assommer réciproquement). Cela se passe donc en plein scénario rouge Covid-19, avec 20% de la population vaccinée, et bien entendu, avec la hausse des énergies et des prix en perspective. La Présidente de la CE est arrivée en début de semaine à Bucarest pour rassurer: le PNRR a reçu l'approbation, les 29,9 milliards seront là. Il ne reste qu'à se partager le gâteau, et donc le gouvernement doit imploser. La crise a commencé avec des prétextes, un courant s'est formé contre le Premier-ministre (qui, lui, a une formation et une expérience professionnelle internationale dans la finance, ce qui n'est pas si fréquent chez les responsables politiques roumains), des fouineurs officieusement accrédités ont déterré un élément privé de sa vie d'étudiant aux States, le courant a pris de l'ampleur, s'est transformé en soif de sacrifice (le bouc émissaire), jusqu'à rendre hystérique tout le pays. J'écris ici car la Roumanie n'intéresse personne, bien qu'elle gêne toujours comme un caillou dans la chaussure européenne, et parce que les politiques roumains cachent invariablement la misère sous le tapis. Les vieilles habitudes.
Je me souviens d'un livre lu en 2006, Le Complexe de Barbe-Bleue, Psychologie de la méchanceté et de la haine, (par Jean-Albert Meynard, Editions L'Archipel, 2006, coll. Archipsy), je lui avais consacré une petite note sur le blog. On est d’accord qu’il existe mille façons de nuire. Le livre démonte un mécanisme dont sont également responsables nos trois cerveaux qui traitent l'information. Il examine ce mécanisme dans une perspective allant des petits riens relationnels auxquels on ne prête pas toujours attention, mais qui sont parlants, jusqu'aux phénomènes plus complexes de notre vie sociale, tels le voyeurisme du cinéma et des médias, ou la violence idéologique et religieuse, ou le pouvoir politique. Le manque d'empathie, la jouissance dans la domination ou la souffrance de l'autre, la chosification et l'humiliation de l'autre, à des degrés divers, bien sûr, peuvent se trouver stimulées et nourries par la puissance de l'image, et c’est ainsi que "l'audimat rejoint le physiologique".
"Sous l'influence de leur cerveau instinctif, les humains ne sont pas égaux! Ils sont emprunts, quel que soit leur niveau de courtoisie ou de déférence, d'un désir de domination. Leur aspect policé, socialement correct, cache leurs envies paléolithiques. Même les relations les plus intimes sont soumises aux lois impériales du sous-cortex."
"Quels que soient les modèles derrière lesquelles elles s'expriment, la haine et la méchanceté font partie de notre quotidien, et les Barbe-Bleue aussi".
Là, je suis en train de regarder faire les Barbe-Bleue roumains.
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