Les vertus du roumain (22/03/2006)
Si je veux m'évader un peu, ou que le besoin d'avoir l'Amérique et Claudiu plus près de moi est trop vif, je laisse tourner un CD avec Johnny Cash. "Don't take your guns to town, son, leave your guns at home, Bill...", par exemple. Si je veux m'offrir quelques bonnes minutes de rire par jour, je n'ai qu'à lire les commentaires des lecteurs dans certains quotidiens roumains. En ce moment, il n'y a pas de meilleure thérapie pour moi. Je réalise toujours, et avec la même fascination, à quel point la langue roumaine est capable d'exprimer une situation, une opinion, par une sorte de court-circuit sémantique, qui met ensemble des mots appartenant à des registres de langue différents, voire opposés, ce qui crée souvent un effet loufoque, surréaliste. Une langue est aussi la mise en paroles de la spécificité d'un esprit. Je reconnais que depuis la mort officielle de la langue de bois de l'activisme communiste, les Roumains semblent savourer la liberté de se servir de mots exacts, même si ceux-ci sont amères, cyniques, parfois crus. Pas d'euphémismes -et comme cela est revigorant, raffraîchissant ! Plutôt un certain type de métaphores, car on dit que le Roumain est né poète (il est vrai qu'il a une facilité étonnante à produire des rimes, indépendamment de son degré de scolarité...). Bref, faire un saut dans la presse roumaine est mon bain de jouvence (moins les faits que la langue dans laquelle ils sont présentés).
Par exemple, je lis un article qui parle du mari suicidé de l'ex-conseillère présidentielle (on l'a retrouvé pendu dans sa villa). Si je parcours les commentaires, en bas de l'article, je n'ai même pas le temps d'éprouver une compassion naturelle. En résumé (et en transposition standard), on remarque que nos milliardaires en lei, ou millionnaires en $, se suicident juste au moment où ils devraient profiter de ce qu'ils ont accumulé (c'est vrai, les cas sont fréquents). Ce serait à cause du fisc, des poursuites, de la pression, car il n'est pas facile d'arriver à justifier...Alors, c'est la roulette russe. Tout cela dit beaucoup sur la tension, quasi tectonique, entre l'enrichissement fulgurant et le nettoyage qu'exige l'Europe, pour que le cap de l'intégration soit enfin, franchi... Dans un autre article, l'auteur se sert de l'exemple irakien pour montrer combien il est difficile de construire une démocratie sur les ruines d'une dictature. Les marxistes roumains, à la différence des Tchèques, des Polonais, des Hongrois, ont eu un gardien terrible à la porte de leur prison, ou de leur zoo: la Securitate. Le système ancien a remplacé le prêt-à-porter par le costume Armani, a redistribué de façon équitable et pluraliste les bénéfices de la privatisation.. En conclusion: "Nous aussi, nous sommes des Irakiens. Et bientôt, les Américains seront chez nous, aussi."(dans EVZ du 21/03/06).
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