Le NON-emballage (30/05/2005)
Tristesse pour l'Europe, tristesse pour les 45% des Français qui n'ont pas confondu les enjeux d'une politique intérieure spécifique et ceux d'un processus concernant 27 pays européens (je compte aussi les deux derniers adhérants, la Bulgarie et la Roumanie). Le NON n'est certainement pas le signe d'un progrès, quels qu'en soient les arguments qui servent d'emballage pour des peurs et des ressentiments solidement et depuis longtemps ancrés, et que l'on n'a pas vraiment fait l'effort de dissiper.
Le Traité constitutionnel européen n'a pas été conçu sur une île déserte, mais élaboré pendant de longs mois dans les conditions de la représentation démocratique, de la transparence et de la communication. Normalement, ce n'était pas un OVNI menaçant.
Hier soir, Monsieur Pierre Moscovici, qui est aussi le Rapporteur parlementaire pour la Roumanie au Parlement Européen disait "qu'il faut maintenant des initiatives françaises" et "qu'il faut expliquer l'Elargissement, ce qui n'a pas été fait non plus par le précédent gouvernement". Personnellement, j'en suis plus que convaincue, le petit projet motivé par l'Elargissement et que je m'obstine depuis cinq ans à mettre en place en France n'en est qu'un infime témoignage.
Néanmoins, je me demande quelles pourraient bien être les "initiatives françaises" dans ce contexte.
Carmen Lopez
serghie_carmen@yahoo.com
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Commentaires
Bonjour Carmen,
Vous êtes triste mais sans doute pas surprise, après les résultats des nombreux sondages . Personnellement ,je ne pensais pas que le score du Non serait aussi large mais je ne vous rejoins pas dans votre analyse . Il ne vous a pas semblé que, plus les Français étudaient le texte de la constitution , plus le non montait ?Cela interroge quand même . Beaucoup découvraient, souvent au cours de nombreuses réunions contradictoires , ce texte , certes élaboré depuis longtemps , mais, peu ou prou, dans une "île déserte", malgré les séances publiques , malgré le site internet de la Convention à Bruxelles et les ouvrages écrits très vite après : ex par Olivier Duhamel , malgré les déclarations de VGE . De plus , il faut bien reconnaître qu' une Europe unie , ne peut reproduire ce que sont les USA : les nations européennes sont bien différentes des Etats US ou de quelqu'autre état fédéral . Une fédération européenne sera d'un type nouveau . Qu'on le veuille ou non , c'est encore un OPNI qui reste à inventer , à faire et , surtout qui mérite autre chose que la précipitation qui se fait jour depuis peu . En fait, cette précipitation n'est qu'une démarche opportuniste pour sortir du Traité de Nice , archi mauvais .
Vous parlez des " peurs" et des "ressentiments" . Mais vous voyez, vous- même , que la vie en France n'est pas toujours facile...ailleurs non plus. Vous faites vous- même l'expérience de vivre avec quelque chose qui ressemble au Smic et je le déplore pour vous . Je crois qu'il faut comprendre les peurs. Ce ne sont pas des peurs égoïstes ,les gens ont peur parce qu'ils ont une famille . Ce n'est pas à vous , Roumaine que l'on va apprendre ce qu'est la peur, même si les origines de la peur pouvaient y être différentes. Voyez où elles s'expriment fortement : dans les régions d'anciennes industies lourdes --charbon , métallurgie- , bouleversées il y a 30 ans par la désindustrialisation. Elles ont connu des reconversions difficiles des licenciements en masse . Grâce à des primes d'incitation , elles ont reçu une nouvelle impulsion, comme les régions rurales où l' on a essayé d'enrayer l'exode rural ( l'usine à la campagne ) dans le cadre de la DATAR . Ce nouvel équilibre , tout relatif, voilà qu'il est bouleversé depuis quelques années , d'une part en raison de gains énormes de productivité mais aussi de délocalisations tous azimuts : Italie du Sud d'abord puis Maghreb, Ile Maurice , Israel même, Europe de l'est ,plus tard, le far-east . En Roumanie , il y en a déjà beaucoup alors même que ces entreprises ne sont pas des modèles
( salaires des opérateurs comme des cadres roumains, au rabais par rapport à l'ouest - qu'elle économie , un ingénieur roumain qui n'a aucun espoir d'acquérir une maison ou ou voiture , acceptation des syndicalistes ???Respect du code du travail??? heures supplémentaires à rallonge , sans salaire . Je me garde de généraliser ,Dacia Renault semble avoir essayé d'être correcte et y avoir réussi, sauf sur le plan des salaires , pas brillants non plus .
La peur de voir partir son emploi prend les gens aux tripes et dire que l'on exporte vers ces pays ne sert à rien : il n'y a pas de vases communiquants et les gens veulent des salaires payés par les entreprises et non des indemnités payées par l'état . Des régions entières qui avaient connu une sorte de "miracle" économique sont , depuis 2000 à peu près , en plein "mirage ", plus , en plein marasme . Les ouvrières , en particulier , ont repris , contraintes et forcées , le chemin de la maison sans espoir de retrouver du travail . Voilà là-dessus le cynisme de propositions de reclassement en ... Roumanie , à l'Ile Maurice , au Mexique . Je crois que les peurs des petites gens ( milieu dont je viens et que je connais bien ) méritent le respect et méritent de ne pas être assimilées à de la xénophobie . Ce ne sont pas les gens simples qui ont fabriqué la peur du "plombier polonais ", c'est Mr Bolkenstein , lui-même , en intervenant à la télévision. Mais son intervention tombait mal , parce qu'il y a en France d'autres "contentieux" à l'égard de la Pologne : les subventions U E élevées mais les Avions U S pour l'armée , la volonté d' intégration dans l'UE très rapide, revendiquée comme un dû pour compenser les décennies du communisme et , le comble , la prise de position sur la guerre en Irak ...
U E ...US? Cheval de Troie ? on n'a pas confiance . Mais , malgré cela , je crois que , jusqu'à la déclaration Bolkenstein , il n' y avait pas d'hostilité , incompréhension plutôt .
C'est que , je crois , on a raté le processus européen parce que l'on n'a pas fait l'approfondissement avant l'élargissement (qui, quoi qu'on en dise , n'est , en rien, comparable aux élargissements précédents ) .
On a ensuite manqué une grande occasion de sensibilisation à l'U E et à la démocratie : vous ne croyez pas que le contexte eût été très différent si les instances européennes s'étaient mises d'accord pour ratifier le projet de constitution , le même jour , par la même procédure : la voie parlementaire partout ou la voie référendaire partout( un référendum exceptionnel en Allemagne pouvait sûrement être acquis par un amendement à la constitution) . LE MÊME JOUR . Ce n'était pas si urgent , l'idée d'Union politique a été exprimée par R Schuman en 1951 ,( en réalité elle est bien plus ancienne). Il n' a pas fixé d'échéance , laissant aux peuples le soin de cheminer pas à pas . Je crois qu'il y avait , entre les mains des autorités de Bruxelles , une responsabilité historique qu'elles n'ont pas assumée . C'est trop facile d'incriminer un peuple qui, entre nous soit dit , n'aime pas du tout qu'on veuille lui imposer une pensée unique. En cela on a largement forcé la dose : les interventions de leaders étrangers - en soit , c'était sympa et cohérent à cette occasion : mais elles ont été moralisatrices ,infantilisantes , directives . On a même eu droit aux encouragements de Mr Mircea Geoana , un matin , sur France inter. Un peu raide quand même ! sans critiquer le chef du PSD roumain. Au fait qu'est-ce qu'il disait , "...n'ayez pas peur, nous sommes vos amis... ". Roumains et Français , c'est souvent vrai et , c'est tellement bien . Moi j'aime cette amitié , j'y tiens et je voudrais tout faire pour la préserver et la promouvoir.
Ce 29 mai serait-il un "Mur de Berlin à l'envers ? je ne crois pas mais je reconnais que le moment est difficile.
La CEE, puis l'UE ont déjà connu des crises , parfois très très graves . Il y a toujours eu des conciliateurs ( la volonté de conciliation sera une des vertus indispensables dans l'Union )pour la préserver .Parfois cela a été long , il y a eu des "marathons". Elle est fragile et on y tient ( dur comme fer ) . C'est cette fragilité qui ,comme dans le cas de la démocratie , fait sa FORCE car c'est un bien plus que précieux .
2 remarques : Si tous les pays avaient ratifié par référendum, quels auraient été les résultats?
J'ai personnellement voté Oui , un oui peu enthousiaste sur le texte mais je suis très enthousiaste sur l'Union. La différence entre vous et moi , c'est que je comprends le Non et que je refuse de jeter l'anathème ( un peu fort de la part de Lucie , elle a la chance d'être dans un pays libre et vous pourriez peut-être lui donner quelques indications sur les pays où l'on dit comment voter ?) , sur ceux qui , n'étant pas des extrémistes ou souverainistes indécrottables , ont cependant voté Non.
Amicalement , tout en amitié franco-roumaine et en espérant que vous avez de bonnes nouvelles de votre immigré aux USA.
Marie
Écrit par : Marie | 30/05/2005
Bonjour, Marie, et merci pour vos paroles consolatrices et surtout explicatives. Si elles peuvent éclairer d'autres lecteurs de ce blog, tant mieux. Si elles me sont adressées en exclusivité, vous pouvez vous sentir libre d'utiliser aussi l'adresse e-mail qui figure dans la colonne de droite, en bas des commentaires, mais également à la fin des notes.
Je me réjouis de voir que l'Europe (l'Union Européenne) vous intéresse, la Roumanie aussi, et que vous semblez connaître suffisamment bien "ce pays qui est le mien".
Je ne jette l'anathème sur personne et je comprends parfaitement les peurs des gens: elles sont légitimes, normales. Paradoxalement, ce n'est pas en Roumanie que j'ai eu le plus peur, mais en France, le pays qui représentait en définitive ma spécialité (puisque j'enseignais en Roumanie la littérature française). Je n'ai aucune intention de me souvenir de quoi que ce soit ici, mais je remarque simplement que l'on peut avoir peur de rater son unique vie après l'avoir investie dans un projet qui peut être plus important à ses propres yeux qu'une vie rangée, sécurisée, réglée jusqu'à la retraite, sans accidents de parcours (pour bien des gens le chômage actuel en est un, par exemple). C'est une peur autrement existentielle, beaucoup plus profonde.
Il y a parmi les arguments du Non certains que j'approuve. Néanmoins, je pense tout simplement comme d'autres tenants du Oui que le traité représentait un cadre permettant au processus de la construction européenne de continuer en s'améliorant, rien qu'un cadre imparfait, mais nécessaire.
Par ailleurs, l'organisation de sa ratification au niveau de l'Union est très discutable, maintenant lorsqu'on voit les résultats, mais ce n'est là qu'une preuve de plus que les Eurocrates de Bruxelles (terme que j'emploie dans son sens étymologique, je l'ai déjà précisé quelque part, rien de péjoratif) doivent améliorer/changer leur stratégie de communication. Cela est d'ailleurs valable pour les autres représentants du peuple -et on vient de le constater.
On peut voter Oui sans enthousiasme, mais en comprenant les priorités, choisir le moindre mal. Vous avez donc bien choisi.
Amicalement,
Carmen
Écrit par : Carmen Lopez | 31/05/2005