Déni ou acceptation?
25/07/2023
(Photo- Rue à Nice)
Comme nous savons bien, même sans l’avoir à l’esprit consciemment, autour des événements importants et qui ont marqué notre vie, nous ressentons la trace laissée par l’événement, sous une forme ou sous une autre. Bien entendu, nous pouvons toujours recadrer un souvenir, parce que, à chaque fois que nous le récupérons, nous le modifions un peu, le plus de recul nous faisant reconstituer un tableau quelque peu différent, vu sous un autre angle. C’est, d’ailleurs, l’art du recadrage, dont parle Watzlawick, et qui est utilisé en thérapie : la transformation porte sur ce qui arrive, et non sur son pourquoi.
Dans une note de 2013, je revoyais « mon tableau » des 23 années depuis que j’avais mis les pieds en France. Me voilà, à quelques jours de l’anniversaire des 33 années. Est-ce un anniversaire ? Oui, étymologiquement. Presque biblique, comme chiffre, c’est l’âge officiel de Jésus, n’est-ce pas…L’élément nouveau dans cette reconstitution du tableau, c’est la lassitude, une sorte de résignation plutôt philosophique, où l’espoir occupe une place réduite, mais où la capacité de révolte est paradoxalement intacte.
Pendant trente-trois ans, la Roumanie a travaillé constamment à tuer dans l’œuf toute compétence professionnelle réelle, en tissant avec méthode une toile solide faite de corruption, de clientélisme, de népotisme, à tous les niveaux de la société, et à des degrés variables. Le résultat: le règne de l’imposture et de l’incompétence arrogante et agressive, travestie en démagogie identitaire, en susceptibilité nationaliste et religieuse. Des responsables politiques qui n’ont aucune qualification ou profession et, naturellement, aucune vision. Comment pourraient-ils en avoir, bardés de diplômes achetés, trafiqués, de titres ahurissants ? La Roumanie ne sera jamais capable d’autre chose que de copy/paste (copier/coller) dans tout, et elle restera toujours un pays dirigé par les gens des Services. Ceux-ci ne sont pas exactement les mêmes qu'à l'époque de la dictature communiste, forcément, certains sont à la retraite ou sont morts, d'autres sont des hommes d'affaires, des politiques, ou de hauts fonctionnaires, mais l'esprit est resté. Une jeune génération, issue de toutes sortes d'académies nationales de sciences économiques ou de police (la pépinière) est, en règle générale, de la même « famille » et renforce le même système - comme en Russie, cela ne pourra disparaître, telle une hydre éternelle. A l’heure des réseaux sociaux, des théories du complot, de la propagande autrement, des influenceurs rémunérés et des 'patriotes' bénévoles, leur action s’est évidemment adaptée. Un seul objectif : protéger l’hydre, peu importe où se trouvent ses têtes, dans la Justice, dans les institutions de l’Etat, dans les partis politiques, dans les affaires...
Dans une note de 2016, je me donnais la peine de traduire du roumain un article signé par un psychologue, article qui m’avait paru assez pertinent parce qu’il faisait une observation de bon sens: tant que nous serons dans le déni de ce qui nous arrive, nous n’en sortirons pas. Récemment, j’ai eu l’occasion d’écouter un autre psychologue roumain, recteur d’université celui-ci, qui est convaincu que la solution pour la morale dans notre société se trouve dans la religion et dans la pratique de celle-ci. L’église orthodoxe est, sans doute, ravie de ce soutien. Nous sommes au XXIe siècle, mais les valeurs humanistes n’ont qu’à attendre encore dans ces régions-là…
Toutefois, en relisant aujourd'hui l’article en question, je dirai qu’il ne s'agit ni de déni ni d’acceptation, dans le sens d’accepter une réalité, de la regarder en face avec lucidité, afin d’opérer un changement. Loin de là, et c’est pourquoi la Roumanie n'a pas d’issue, et c'est pourquoi son cas est spécial. Il est question de se complaire sciemment, de critiquer un état de choses d’une part, et de l’entretenir, de le nourrir, chacun à son échelle, dans ses interactions individuelles, professionnelles, politiques, d’autre part. La toile est indestructible, forte et primitive (comme écrit ce Larousse de 1906 : Roumain : race forte et primitive ).
Trente-trois ans après la chute officielle du communisme, le tableau n’est pas beau à voir, et c’est le moins que l’on puisse dire. Dans le même temps, est-ce que l’OTAN et l’UE pourront nous empêcher de sombrer?
http://elargissement-ro.hautetfort.com/archive/2013/07/31...
http://elargissement-ro.hautetfort.com/archive/2016/11/02...
2 commentaires
Quelle qualité que votre expression sur un sujet ¨francais¨ adieu cédille : l´art de vivre, ou survivre (moins élégamment dit) en société. La vôtre, roumaine, pour origines, la mienne, ¨francaise¨ en d´autres temps et circonstances (pré-68, pré-Beatles : guerres sur guerres, Mondiale, Occupation, Libération, Indo, Algérie, et puis... , suffit, la valise dest. Canada, à 25 ans. Je m´en porte bien : 1. Toujours vivant, 2. Content de l´être, avec les miens et les miennes, de ce côté-là de la ¨civilisation¨. Bref, vos raisons me sont familières : ce furent les miennes. Un grand merci pour ce témoignage musclé, qui vous honore, et la langue ¨francaise¨ Au plaisir de vous lire, Carmen Lopez.
Merci beaucoup, François René Ullmann ! En effet, seuls ceux qui ont traversé une expérience similaire comprennent vraiment.
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