Bucarest, le 10 août
22/08/2018
(Mes photos- La transmission en direct)
Dans la note antérieure, plusieurs commentaires m’appartenant envoient à des liens sur ma page Facebook, au sujet de la manifestation du 10 août dernier à Bucarest. Une amie vient de m’envoyer, par la poste, l’article paru dans Le Figaro le 18 août, et auquel je me réfère dans mon dernier commentaire. Il est signé par un intellectuel roumain, Alexandru Calinescu, Professeur de littérature française à l’Université d’Iasi. L’article résume de manière claire pourquoi ce qui se passe à Bucarest est bien plus grave que ce qui focalise l’attention des médias européens à Varsovie ou à Budapest, car l’homme malade de l’Europe, ce n’est pas la Pologne ou la Hongrie, mais la Roumanie. J’en ai choisi quelques extraits:
"Le soir du 10 août 2018, les Roumains ont cru vivre un cauchemar. Ils étaient 110.000 manifestants à Bucarest ce jour-là. Or, ce qu’on voyait sur les écrans de télévisions ressemblait étrangement aux exactions commises par les mineurs voilà vingt-huit ans, en juin 1990, lorsque « les gueules noires » -à l’instigation du président d’alors, Iliescu, et de ses acolytes- sont venus à Bucarest molester et disperser les manifestants alors rassemblés place de l’Université et saccager les sièges des partis d’opposition, qui n’existaient que depuis quelques mois. Sauf que cette fois-ci, le rôle des mineurs a été joué par les gendarmes. Leur zèle et leur brutalité n’ont rien à envier à la sauvagerie des « gueules noires » de 1990. On a compté plus de 400 blessés ! La manifestation du 10 août dernier qui se déroulait dans le calme place de la Victoire, devant le siège du gouvernement, n’était pas une manifestation ordinaire, comme celles qui se sont produites, par centaines, depuis 2017, pour protester contre la corruption des dirigeants gouvernementaux. Ce rassemblement avait une haute valeur symbolique : c’était, annoncé depuis plusieurs mois, le meeting de la diaspora. (…)
Comment expliquer la décision des autorités d’ordonner ce jour-là une répression d’une violence extrême ? …ce qui a surtout choqué dans la répression, ce fut la recrudescence des pratiques de l’ancienne Securitate et de la « milice populaire » du régime communiste de Ceausescu : insultes, menaces, arrestations abusives, matraquage. Et pour couronner le tout, la diversion classique : des groupes de casseurs qui firent leur apparition à point nommé (ce qui fournit un alibi pour le matraquage général), une mise en scène destinée à créer une forte émotion (on a prétendu qu’une femme gendarme a été battue à mort –c’était faux), la propagation de fausses rumeurs annonçant que le siège du gouvernement allait être attaqué, etc. Avant les événements du 10 août, les manifestations ont rassemblé jusqu’à 600.000 personnes place de la Victoire, et jamais on n’a parlé de casseurs. Comment ne pas penser alors que la répression a été préméditée et préparée ? Les moments affreux qu’ont vécus les Roumains ce soir-là étaient destinés à servir d’exemple et d’avertissement. (…)
Depuis un an et demi, le parti « social-démocrate » (le PSD) n’a qu’un but : sauver son leader, Liviu Dragnea, président du parlement et condamné à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale. Dragnea a aussi été condamné, en première instance, à trois ans et demi de prison ferme pour corruption. Depuis janvier 2017, le parti s’acharne donc à mutiler les lois de la justice et à éliminer tous ceux qui sont susceptibles de s’opposer à son assaut contre l’Etat de droit. L’éviction de Laura Kovesi, qui a dirigé d’une main de fer la Direction nationale anticorruption, a été saluée comme une grande victoire par les partisans du pouvoir. (…)
Avec Dragnea c’est le fantôme de Ceausescu qui revient. D’une ambition maladive, il veut faire main basse sur le pays, entouré d’une nouvelle nomenklatura obéissante, qui veut garder à tout prix ses privilèges. En un an et demi, Dragnea a obtenu trois fois que la Roumanie change de premier ministre. Le dernier en date, Viorica Dancila, est sa marionnette. Ses gaffes énormes, ses difficultés à articuler un discours cohérent sont le sujet d’innombrables blagues dans le pays. La Roumanie, quel pays triste et plein d’humour, a dit un poète du siècle dernier. Le gouvernement est perçu comme une réunion fortuite d’amateurs et d’ignorants. Comment, dans ces conditions, la Roumanie pourra-t-elle assurer, à partir de janvier 2019, la présidence du Conseil de l’Union européenne ? (…) Confrontés à un pouvoir abusif et corrompu, les Roumains attendent des gestes de solidarité de l’Union européenne et des gouvernements des Vingt-Sept."
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