L'horreur frappe la France
14/11/2015
Prier qui, pourquoi? Le Dieu des victimes tombées ce 13 novembre sous les balles des kamikazes islamistes est-il le même que celui au nom duquel les terroristes se sont fait exploser ? Ou bien, il y en a deux ? Prier pour la vie, ou pour la mort ? Pour les âmes, ou pour les consciences ? Oui, la culture occidentale a façonné, au cours des siècles, des gestes civilisés et symboliques qui se déclenchent après l’horreur, comme des réponses réflexes à la barbarie. Mais devant le terrorisme de masse et la culture de la mort, portés par une idéologie politique religieuse, le symbole civilisé ne fait pas le poids, quoi que puisse dire le discours fraternel qui n’attend pas pour débiter ses formules automatiques, presque incantatoires.
Elles sont admirables et émouvantes, nécessaires sans doute, d’un point de vue psychologique, toutes les marques de compassion et de solidarité sur les réseaux sociaux. Je ne peux avoir cette réaction. Je n’ai pas pu prier, je n’ai pas pu allumer la bougie blanche que je garde sur une étagère. La révolte et le dégoût ont laissé la place à une profonde tristesse froide. Si au moins, cette fois-ci, on pouvait mettre en veilleuse les sempiternels clichés : «pas d’amalgame », « la population musulmane se sent stigmatisée », «le social dans les banlieues », et tout le reste. Si au moins, cette fois-ci, on pouvait arrêter de caresser l'islam dans le sens du poil, en s'abstenant de décider, en fonction de projections ou d'intérêts spécifiques, quelles en sont les branches « de paix et d'amour », et quelles en sont les branches mortifères.. Les marches blanches et les grands rassemblements d’union sont, bien sûr, incontournables, et si, après la tuerie chez Charlie Hebdo en janvier 2015, quatre millions de personnes sont descendues dans la rue, demain il y aura le double, ou le triple. Ce n’est pas ce qui va dissuader les terroristes. Quand une jambe est atteinte de gangrène, parfois on est obligé de couper au-dessus afin de ne pas laisser la progression entraîner la mort du corps entier. Essayons de pratiquer une coupure, ou du moins une certaine réserve, au niveau du discours diplomatique et sociétal habituel, et de ne pas tenir, à tout prix, à ménager la chèvre et le chou..Non seulement ce serait en pure perte, mais aucun gouvernement civilisé européen n’a le droit, en ce moment, de jouer ainsi. Il se doit d'être lucide et ferme, et surtout il se doit d'agir peut-être autrement, en faisant l’impasse sur les formules censées rassurer, mais qui risquent de paraître démagogiques, à force d'être renouvelées, sans effet, dans un contexte de guerre simplement barbare.
Finalement, pourquoi mentons-nous quand nous faisons des erreurs? Pourquoi les justifions-nous? Parce que notre cerveau ne tolère pas la dissonance cognitive - la gêne ressentie quand deux croyances ou deux actions se contredisent - et qu’il travaille pour la diminuer en installant un mensonge, une justification. Lorsque nous sommes face à l’évidence d’avoir commis une erreur grave, nous avons le choix: admettre l’erreur et en apprendre quelque chose, ou la justifier et persévérer. C’est la deuxième attitude qui est la plus courante. Le mécanisme de réduction de la dissonance cognitive est inconscient, et il nous permet de nous mentir à nous-mêmes pour que nous puissions garder une estime de soi et une image de soi qui nous conviennent. Les implications de la théorie de la dissonance sont énormes, car elles montrent combien de problèmes surgissent, non seulement de la part des gens qui commettent des actes répréhensibles, mais aussi des gens bien qui justifient les mauvais actes qu’ils commettent ou qu’ils défendent, et cela afin de préserver leurs croyances. La réduction de la dissonance est peut-être programmée par notre mental, mais notre jugement sur nos erreurs ne l’est pas. Nous pouvons toujours apprendre à devenir moins bien-pensants, surtout quand l’enjeu est notre civilisation-même.
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