Une impression
16/08/2015
(Mes photos: Le jardin de Cimiez )
Je vais en Roumanie assez régulièrement, en principe une fois par an, mais il y a eu des années quand j’y suis allée plus souvent –par exemple l’année de la mort de maman. Ce n’est que pendant ces récentes brèves vacances, passées avec Claudiu et sa petite famille américaine, que j’ai eu une impression particulière, de quelque chose que j’avais sans doute déjà remarqué, mais que je n’étais pas encore arrivée à formuler. Eh bien, ça y est, à force de réfléchir : j’ai eu le sentiment de vivre dans la Roumanie des années ’70, j’en reconnaissais le cadre, l’esprit, les signaux. Je réalisais que rien n’avait vraiment changé depuis, même si officiellement, l’idéologie de l’époque est morte et enterrée. Pas si sûr.
Pourquoi les années ’70? C’étaient les années des discothèques, du Pepsi, des vêtements choisis dans les galeries d’art, des congés à la mer et à la montagne (une semaine + une semaine), et surtout du patriotisme mis en boîte –des festivals de musique, du travail bénévole pour aménager une falaise, pour collecter du papier et des bocaux à recycler.. Tout était ordonné, dirigé, centralisé : les comités du parti, de la jeunesse communiste, les réunions interminables, les engagements, les plans.. Un certain moule dans lequel s’était coulé l’esprit des Roumains, en restant figé jusqu'à ce jour-ci.. Je crois être un peu lasse pour faire l’effort d’analyser davantage mon impression, je me limite à la constater. Bien qu’affichant un visage européen, avec tout ce qui va avec –institutions, dispositifs, langage- la Roumanie m’est apparue immobile, lointaine, coupée du monde. Probablement, elle ne l’est pas du tout, aux yeux d’un visiteur étranger. Il y avait beaucoup de touristes à Bran, j’avais compté six groupes et six langues différentes, et à Sighisoara, pas mal de Français –évidemment, c’est comme si je ne les entendais pas, sauf une fois, quand un groupe de lycéens allait s’engager dans le mauvais passage et que je leur avais indiqué le bon chemin. Je ne me sentais pas d’être aimable ou accueillante, primo je n’avais pas le sentiment d’être chez moi, secundo je vivais chez eux.. J’aurais pu, par exemple, renseigner gentiment ces trois Parisiens qui se demandaient à quoi étaient les feuilletés exposés dans la vitrine d’un snack rue Lipscani à Bucarest, mais je me suis contentée de demander le mien.
Je m’économise, je fais le minimum, quand il faut, pas plus. Je me souviens que Dominique, toujours très active pour son âge et à la tête d’une association pour les démunis, cherchait à un moment donné des personnes "de bonne volonté" pour ranger un nombre de livres je ne sais plus où, et m’avait demandé si je pouvais être parmi ces personnes. Je lui avais répondu en souriant que j’étais incapable de faire un travail non payé, c’est-à-dire me permettre le luxe du bénévolat.. Dominique est décédée en avril dernier, j’ai assisté à l’office et j’ai pensé à elle avec tendresse et amitié, mais je n’ai pas éprouvé de regret pour mon refus. Il paraît que le bonheur ne demande pas d’être toujours positif, mais seulement conscient et présent, ce qui reviendrait à être authentique, chose rare, comme le bonheur d'ailleurs. Mon sentiment concernant la Roumanie est sincère, je suis convaincue qu’elle n’évoluera pas autrement que dans la direction d’une affligeante religiosité (entretenue et soutenue habilement par le pouvoir, comme marque de l’identité nationale), et d’un renouveau du système que l’on prétend mort et enterré, mais dont on n’a fait que modifier quelques paramètres.
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