Derrière les chiffres
01/04/2014
(Photo partagée: Charleston, SC)
Qu'est-ce que j'entends aujourd'hui aux informations sur une chaîne en clair? "Un immigré devenu premier-ministre". C'est-à-dire, l'équivalent français (enfin!) du "premier président américain noir"! Il ne faudrait pas se tromper de sens dans la lecture, il s'agit bien là de fierté: la démocratie se contemple et s'admire, car la diversité est en marche! Si cela continue, je parie que dans une prochaine vie moi aussi, Roumaine, je deviendrai, que sais-je...?
Mais je voulais écrire quelques lignes sur des données liées à la croissance européenne intelligente jusqu'en 2020, et publiées dans ce document. A mon grand regret, il me faut reconnaître que la statistique est loin de faire partie de mes compétences. Je me souviens que, lorsqu'il préparait à Nice sa future étape au Collège de Charleston, mon fils avait remporté à une épreuve en statistique le formidable résultat de 100/100, avec les félicitations du professeur, ravi, lui aussi. Et il m'avait dit, avec son beau sourire où se mêlaient la satisfaction et la modestie: "Tu sais, la statistique est quelque chose de fascinant". Je le crois. Si je me suis penchée sur ce document avec la meilleure attention que je puisse accorder aux pourcentages, c'est parce que au départ, j'ai été intriguée par le titre paru dans un quotidien roumain qui lisait le même document. Car, vous avez beau parcourir des colonnes de chiffres, encore faut-il les interpréter. Or, tout est là, dans ce que l'on fait dire aux chiffres, et en général cette lecture revient à un exercice qui n'a pas grand chose à voir avec la science, la méthode, la technique statistique. On n'est pas dans l'ambiguïté du discours poétique non plus, mais dans la rhétorique politique. Exemples plus que banals: le nombre de chômeurs, les offres d'emploi, l'énergie économisée si on coupe l'électricité pendant 5 minutes, le nombre de tués, le nombre de malades, le nombre de guéris, les 5000 milliards d'évasion fiscale dans le monde, etc.
Le quotidien titre ainsi: "Le profil statistique du Roumain dans l'UE: un pauvre bien éduqué et ayant une faible espérance de vie". Déjà, vu de France, c'est peut-être plus chic d'être pauvre et bien éduqué (à condition de regarder avec un seul oeil, de préférence le gauche). Mais c'est l'espérance de vie qui inquiète: 71,1 ans pour les hommes (70,9 ans chez les Bulgares). Le PIB roumain est presque le plus faible d'Europe: 6200 E (5400 E le PIB bulgare, le dernier), le plus élevé étant, évidemment, celui du Luxembourg 80.700 E. L'Italie aussi a un joli PIB de 25.700 E (dont, je l'ai lu quelque part, 3,5% est fait par la mafia calabraise - 53 milliards en 2013, "plus que Deutsche Bank et McDonald's réunis"). Un chapitre où la Roumanie "va bien" est celui de la dette externe: très faible, 38,9% du PIB, à comparer avec la Grèce 171,8%, le Portugal 128,7%, l'Italie 132,9%. Enfin, un pourcentage avoisinant celui du...Luxembourg, 27,7%. Encore une fois, tout dépend de comment on lit -par exemple, ce que cette dette signifie..
Un autre chapitre où la Roumanie a l'impression d'aller même très bien, c'est le niveau d'éducation. Apparemment, selon les chiffres, c'est le cas: 79,5% d'hommes et 72,4% de femmes ont fait des études secondaires. Je pense que cela va dans la continuation de la période antérieure, les populations de l'Est étant, en effet, mieux scolarisées et formées (la Tchéquie enregistre 94,8%, la Slovaquie 93,5%, la Lituanie 94,5%, l'Estonie 92,3%, la Bulgarie 81%). Néanmoins, lorsqu'on sait que l'étendue de la corruption ne va pas épargner le domaine de l'éducation (nombre de diplômés, nombre d'écoles privées..), on regarde ces chiffres sans grand enthousiasme..
J'apprends que l'Université Polytechnique de Bucarest (UPB) a fait des démarches pour offrir à Madame Merkel le titre de Docteur Honoris Causa, et que la Chancelière l'a refusé. L'actuelle présidente du Sénat à l'UPB, ancienne ministre de l'Education dans un gouvernement précédent, se trouve impliquée dans un scandale de plagiat (pratique courante) dont l'enjeu est de 500.000 E. Elle ne serait pas au courant du refus, mais les journalistes de Romania Libera ont obtenu l'information auprès des représentants de la Chancellerie allemande: "Madame Merkel reçoit de nombreuses demandes, et nous ne commentons pas les motifs pour lesquels elle refuse ou accepte ces titres." Oui, cela fait du bien de pouvoir constater, de temps en temps, que tout ne peut être acheté ou monnayé, partout.
Hugh Laurie, Changes
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